Jean-Marc Rouillan: « Je suis emprisonné depuis treize mois pour une phrase
PRISON.
Atteint d'une maladie orpheline rare, la maladie
d'Erdheim-Chester,
le cofondateur d'Action directe réclame un transfert du centre de
détention de Muret vers la Pitié Salpêtrière à Paris, pour qu'on
le soigne. Sans succès. Alors, Jean-Marc Rouillan écrit. Sur la
maladie. Sur la détention. « Je suis emprisonné depuis treize mois pour
une phrase », indique-t-il dans un nouveau livre. Cette phrase qu'il
avait lâchée à L'Express et qui a été interprétée comme une absence de regrets. Lire la suite
Dans ce livre qui sort le 20 janvier chez Agone, éditeur marseillais (1),
Rouillan affirme que, lorsqu'il était encore détenu aux Baumettes,
il a reçu la visite de deux magistrats du Parquet.
L'un
lui a dit, selon Rouillan: « Il est indispensable de faire
preuve d'un repentir. Sinon, rien n'est possible. »
Il
a rétorqué: « Je suis emprisonné depuis treize mois pour une
phrase. »
Drôle
de face-à-face. « L'Etat est prêt à me liquider pour
quelques mots exactement comme je suis prêt à mourir pour une
histoire vieille de trente ans. »
L'ancien
d'Action directe, condamné deux fois à perpèt' pour complicité
d'assassinats, a déjà vécu 23 ans derrière les barreaux.
Il
a cru en sortir, goûtant pendant dix mois à la semi-liberté, à
partir de décembre 2007.
Mais
une phrase ambiguë à L'Express, interprétée comme
une absence de regrets sur les assassinats de Georges Besse et René
Audran, pour lesquels il a été condamné et qu’il n’a pas le
droit d’évoquer, lui a valu de repartir en taule (2).
Ironiquement,
en préambule, ses éditeurs préviennent: « Par la révocation
de sa semi-liberté et son renvoi en prison début octobre 2008,
l'administration pénitentiaire et le juge d'application des peines
ont offert à l'auteur les conditions nécessaires à la poursuite de
son oeuvre. »
Car « c'est une fois le quotidien de Jean-Marc Rouillan
redevenu carcéral à plein temps que l'écrivain est revenu habiter
le détenu ».
Il
remplit des feuilles à carreaux d'écolier. Il (s')observe: « Le
temps carcéral, pour les très longues peines, est un analgésique
qui te laisse juste assez de vie en toi pour que tu puisses
t'observer mourir. »
Et
son témoignage donne l'impression, pour Agone, « que le
dernier moyen fourni à l'auteur est de jouer cette fois lui-même le
rôle du mort ».
Depuis
qu'il se sait atteint de cette maladie orpheline rare, détectée en
avril 2009, Rouillan réclame d'être
transféré à la Pitié Salpétrière à Paris.
C'est
le seul hôpital capable, à ses yeux, de le soigner correctement,
car « le seul centre français possédant une expérience
clinique (et non pas seulement théorique) de la maladie »,
selon le docteur Patrick Barrot, anesthésiste, ami et médecin
traitant de Rouillan.
L'administration
pénitentiaire n'a pas fait suite à cette demande.
Son
avocat, Me Chalanset, a porté plainte, début décembre à Toulouse,
pour non-assistance à personne en danger, estimant que son client
est privé de soins.
Mais
l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) a estimé, après
enquête, qu'il n'y a « pas d'insuffisance » dans la
prise en charge du détenu Rouillan, transféré fin octobre des
Baumettes, à Marseille, vers le centre de détention de Muret, près
de Toulouse.
« Jusqu'à
présent, le traitement qui vous a été proposé est conforme aux
recommandations actuelles qui s'appliquent à votre affection »,
lui écrit l'inspecteur général, le 4 décembre.
Rouillan
réclame aussi une suspension de peine pour raisons de santé. Sans
succès.
Cet
homme de 57 ans, à qui les jeunes en taule donnent du « Papy »
ou de « L'Ancien », sait que l'on va douter de sa
maladie: « Certains pisse-froid vont m'accuser d'avoir tout
inventé. »
Et
il fait part de son pessimisme: « On me soignera quand les
séquelles seront irrémédiables, c'est-à-dire quand je serai
crevard de chez crevard! »
Dans
ce livre, il revient aussi sur ces « regrets »
que certains veulent l'entendre exprimer.
« Ne voir aucune
arrogance dans ma position de résistance. Peut-être de l'orgueil »,
écrit-il, face à des institutions qui « savent que, sans nos
regrets, la boucle ne serait jamais bouclée. Voilà le sens de
l'acharnement judiciaire. »
Rouillan
se dit juste « fidèle », d'une fidélité « orpheline »,
au « camarade garotté un matin dans une prison catalane; à
celui assassiné d'une balle dans la nuque; à celui devenu fou sous
la torture ».
Aujourd'hui, il lui reste l'écriture. Celle d'un type, « guenille d'homme,
trouée de part en part », qui souffre de la détention mais a
peur de la liberté: « La liberté fait peur car le prisonnier
sait qu'il découvrira à ce moment-là, en franchissant la porte,
l'ampleur de l'amputation intime qu'il a subie au cours de ces
années. »
MICHEL
HENRY
(1) Paul des Epinettes et moi. Sur la maladie et la mort en prison.
Agone. 225 pages, 10 euros.(2) Rouillan, interrogé sur l’assassinat
de Georges Besse le 17 novembre 1986, y répond:
«Je n’ai pas le droit de m’exprimer là-dessus… Mais le fait
que je ne m’exprime pas est une réponse. Car il est évident que,
si je crachais sur tout ce qu’on avait fait, je pourrais
m’exprimer. Par cette obligation de silence, on empêche aussi
notre expérience de tirer son vrai bilan critique.»