Un détenu suisse agonise dans l'indifférence amusée de ses gardiens
Que s'est-il passé la
nuit du 10 au 11 mars dans le pénitencier suisse de Bochuz ? Lundi 26
avril, après plusieurs semaines de polémique, la justice suisse a
indiqué avoir ouvert une enquête pénale pour déterminer les
circonstances de la mort d'un détenu mort asphyxié dans sa cellule.
Cette nuit de mars, Skander Vogt met le feu au matelas de sa cellule
pour protester contre la confiscation de sa radio. L'homme est considéré
comme dangereux et les gardiens refusent d'entrer dans sa cellule pour
lui porter assistance. Une heure et demie plus tard, lorsque les secours
ouvrent la porte de la cellule, Skander Vogt est "en arrêt
respiratoire. Son cœur ne bat plus. Les pupilles sont dilatées, sa peau
est froide. Il a de la mousse noire autour du nez et de la bouche."
Ce que la justice cherche à déterminer, c'est l'enchaînement des
événements qui ont conduit à la mort de cet homme de 30 ans. Mi-avril,
le quotidien suisse Le Matin relatait cette heure et demie de
tergiversations entre la prison, les secours, la police et les forces
spéciales chargées de s'occuper des détenus dangereux. Dimanche, RTL diffusait les enregistrements audio d'une
partie de ces conversations.
"IL PEUT CREVER"
A la lumière de ces deux sources et d'après les témoignages recueillis dans la prison, la
responsabilité de l'administration pénitentiaire semble écrasante : les
gardiens de service auraient attendu 40 minutes avant de se préoccuper
du sort de Vogt, alors même que le détenu appelait à l'aide et
s'étonnait qu'on ne le sorte pas de sa cellule.
Le contenu des discussions entre les protagonistes est lui aussi
édifiant. A 1 h 52, un gardien s'entretient avec un homme du DARD, sorte
de GIGN suisse. Skander Vogt y est décrit comme un "connard"
auquel il faut mettre "une démerdée". A d'autres moments, la
conversation est ponctuée d'éclats de rire. "Ça fait 50 minutes
qu'il respire la fumée. Il peut crever", constate un autre agent,
auquel son collègue répond : "Ouais, ben ça lui fait du bien."
Au-delà des circonstances de son agonie, le cas de Skander Vogt remet
également en cause le système pénitentiaire helvétique. Le jeune homme
avait été condamné en 1999 à vingt mois de prison pour une multitude de
petits délits : dommages à la propriété, vol, injures, menaces. Mais un
article du code pénal suisse permet de priver le condamné du droit à la
liberté à l’expiration de sa peine, pour une durée illimitée, s’il est
jugé dangereux. "Faut comprendre qu'il se fâche au bout d'un moment",
reconnaît un policier, à 2 heures, cette nuit-là.Le Monde.fr