Poitiers doit-il avoir peur des anarchistes ?
Depuis peu, des anarchistes regroupés sous le '' Pavillon Noir ''
affirment leur présence dans le débat sociopolitique local. Qui
sont-ils, que veulent-ils ? Le 23 mars dernier, lors d'une manifestation syndicale sur la défense
des retraites, le drapeau noir des anarchistes flottait devant la
préfecture de Poitiers. - (Photo SD, Comité poitevin contre la
répression des mouvements sociaux)
Qui se regroupe sous la bannière du Pavillon Noir ?
« Nous ne sommes pas un '' groupe '' ni un '' groupuscule '' comme le
définit l'article 222-14-2 du code pénal ou la loi sur les violences en
bandes promulguée le 2 mars 2010 et appliquée pour la première fois en
France le 28 mars à Paris. Pavillon Noir est le nom de notre
organisation politique, affiliée à la Fédération Anarchiste. Elle
rassemble des libertaires de la Vienne parmi d'autres, autour d'idées
politiques qui nous sont spécifiques. »
Pourquoi ce nom ?
« Le drapeau noir symbolise l'antiautoritarisme au sein du mouvement
social, en se distinguant du drapeau rouge. Les dérives autoritaires
aussi bien que les illusions sociales-réformistes, du socialisme de
tendance marxiste, sont en effet dénoncées par les anarchistes depuis
les années 1880. Le noir est '' sans couleur '' : il dénonce l'illusion
de tous les courants politiques qui prétendent représenter les gens. A
la démocratie représentative et aux mandats incontrôlables, il répond
par l'auto-organisation, la démocratie directe et le mandat révocable.
Il est une invitation lancée à vivre selon son libre arbitre, à
s'associer librement pour construire une organisation sociale
débarrassée de l'autorité et de l'exploitation. »
Quels sont les objectifs politiques de votre groupe ?
« Nous souhaitons contribuer à la diffusion des réflexions, des modes de
lutte et des alternatives de vie libertaires dans la Vienne. »
Quels sont vos modes d'action ?
« Nos modes d'action sont divers : nous partageons nos réflexions et
idées par la participation à des débats publics, la diffusion d'un
journal local (2) et de notre journal fédéral (3), et la rédaction d'un
blog comportant un agenda local militant (4). Nous participons aux
luttes sociales, dans lesquelles nous revendiquons nos idées par voie de
tracts que nous diffusons. Nous nous impliquons librement, en tant
qu'individu-e-s, dans la vie syndicale, associative. Nous portons aussi
la réflexion libertaire dans nos vies quotidiennes. »
La ville de Poitiers est-elle propice au développement de l'idéologie
anarchiste ?
« Partout où des personnes résistent à l'oppression et décident de
s'organiser par elles-mêmes, peut se développer l'anarchisme.
'' Le pouvoir a toujours souhaité semer la confusion sur l'anarchisme
'' En ce qui concerne Poitiers, la diversité du réseau associatif et
culturel favorise d'une part le débat libre et des pratiques
autogestionnaires. Un certain nombre de gens sont d'autre part déçus
d'une gauche arrogante et coupée des réalités sociales. La réflexion et
les pratiques libertaires jouissent donc d'un relatif intérêt chez de
nombreuses personnes ; nous ne sommes qu'une composante du milieu
anarchiste et ne parlons donc qu'en notre nom. »
Comprenez-vous que le mot « anarchiste » puisse inquiéter ?
« Nous comprenons que l'anarchisme puisse inquiéter le pouvoir, car il
remet ses fondements en cause, en popularisant l'idée qu'il est tout à
fait possible et souhaitable pour les gens de s'organiser par eux-mêmes.
Par conséquent, le pouvoir a toujours souhaité semer la confusion sur
l'anarchisme, en l'assimilant à la violence et au chaos... alors qu'il
est au contraire, selon les mots du géographe Elisée Reclus, ''
l'ordre
sans le pouvoir ''. Pour le Pavillon Noir, si nous n'ignorons pas
la pluralité des anarchistes, nous sommes pour notre part pour la
désobéissance civile et l'action directe non-violente. »
Depuis le 10 octobre, à Poitiers, les manifestations sociales sont
particulièrement encadrées par les forces de l'ordre. Vous sentez-vous
visés ?
« La surveillance des individu-e-s par les pouvoirs en général, si elle
s'accroît sans cesse, a toujours existé. Elle ne concerne pas que les
militant-e-s anarchistes : carte d'identité, passeport, immatriculation
de la voiture, inscriptions dans des fichiers policiers divers, base
élèves, puces RFID, nanotechnologies, traçabilité des paiements, Hadopi,
vidéosurveillance, biométrie, prélèvements ADN, etc. Cela concerne tout
le monde. »
La violence pourrait-elle faire partie de vos modes d'action ?
« Le pouvoir est foncièrement violent : exploitation salariale,
licenciements, accaparement capitaliste des ressources naturelles, des
moyens de production, d'échange et de distribution entraînant de graves
privations pour une partie croissante de l'humanité, atteintes graves à
la liberté individuelle, abrutissement généralisé par un discours
politique de type publicitaire... la violence est institutionnalisée. Le
système, en ne nous laissant que le pseudo-choix d'une consommation
frustrante, nous dépossède complètement, aussi bien de notre capacité à
gérer nos vies, que de ce que nous produisons. C'est contre cette
violence-là que nous nous organisons. Pour cela, il faut veiller à ne
pas user des mêmes armes que son ennemi : il existe bel et bien d'autres
voies, non-violentes et collectives. C'est probablement ce qui dérange
et intrigue actuellement le pouvoir en place. »
(1) Cette interview a été réalisée par échanges de courriels, les
interviewés souhaitaient «
prendre le temps de réfléchir à ces
questions » afin d'y apporter des réponses «
mûries
collectivement ».
(2) Pavillon Noir
(2) Le Monde libertaire
(3) http://pavillon.noir.over-blog.fr/
RepèresUn mouvement multiformeEn France, les idées libertaires circulent au sein d'une dizaine
d'organisations.
La Fédération anarchiste (à laquelle est affilié le Pavillon Noir de
Poitiers) et Alternative libertaire sont les plus structurées. On peut
citer également l'Organisation communiste libertaire ou la Coordination
des groupes anarchistes, qui apparaissent parfois dans le débat public
local. Poitiers compte également une union locale de la CNT
(Confédération nationale du travail) très présente dans le combat
syndical.
Ceci dit, nombreux sont les anarchistes qui ne
reconnaissent dans aucune structure précise, et naviguent d'un collectif
à un autre, au gré des mouvements sociaux locaux (lycéens, étudiants,
sans-papiers, etc).
Propos recueillis (1) par Philippe Bonnet
................ Le Billet :
Vous avez dit anars ?«
Y en n'a pas un sur cent et pourtant ils existent », chantait
Léo Ferré à propos des anarchistes. En effet ils existent. A Poitiers
comme ailleurs.
A Poitiers un peu plus qu'ailleurs ? On serait tenté de le penser, et
pas seulement depuis la manifestation anticarcérale du 10 octobre 2009.
Dans cette ville universitaire, les idées libertaires n'ont pas attendu
les blacks blocs pour s'épanouir. Sous l'appellation « Pavillon Noir »
ou sous d'autres bannières.
Ce qui fait la différence, depuis peu, c'est que les anarchistes
occupent l'espace public de façon visible. Dans les manifestations bien
sûr. Mais aussi dans la prose distribuée sur les marchés. Ou dans les
affiches et les autocollants semés sur les murs de la ville.
Faut-il
avoir peur des anarchistes ? Méritent-ils qu'on dépense de l'argent
public à les surveiller de très près ? C'est la question qui a motivé la
réalisation de l'interview ci-contre. Dans le but d'offrir à ceux qui
la liront l'opportunité de se forger une opinion en toute connaissance
de cause.
vu sur la Vieille Republique Bourgeoise :
http://www.lanouvellerepublique.fr/ACTUALITE/Politique/Poitiers-doit-il-avoir-peur-des-anarchistes
http://www.lanouvellerepublique.fr/ACTUALITE/Politique/Vous-avez-dit-anars