lu ici : http://blog.dalloz.fr/blogdalloz/2010/03/luniversit%C3%A9-paris-dauphine-cr%C3%A9%C3%A9e-il-y-a-maintenant-plus-de-quarante-ans-est-devenue-en-2004-un-grand-%C3%A9tablissement-r.html?utm_source=feedburner&utm_medium=feed&utm_campaign=Feed%3A+BlogDalloz+%28blog+Dalloz%29
A qui fera-t-on croire que la « marchandisation » des diplômes est l'avenir de l'université ? L’université Paris-Dauphine, créée il y a maintenant plus de quarante
ans, est devenue en 2004 un grand établissement relevant des
dispositions de l’article
L. 717-1 du code de l’éducation. Elle a été pendant longtemps l’un des
symboles de la réussite de l’université française. Innovante
pédagogiquement et scientifiquement, pionnière en matière de
pluridisciplinarité, elle a toujours porté très haut les valeurs du
service public de l’enseignement supérieur en offrant à ses étudiants
une formation de qualité qui leur permet de rivaliser avec les diplômés
des meilleures écoles ou des plus célèbres universités européennes.
Malheureusement, aujourd’hui, ce bilan glorieux du passé est remis en
cause par des évolutions qui ne peuvent que susciter la surprise,
l’inquiétude et le désarroi.
En effet, malgré l’opposition massive
des enseignants-chercheurs qui ne représentent toutefois que vingt-six
membres sur soixante, le conseil d’administration de l’université
Paris-Dauphine a voté le 1er février dernier, sur la proposition de son
président, une augmentation sans précédent des droits d’inscription
concernant les Masters de gestion et d’économie internationale. Il
s’agit de la moitié des Masters de cette université, c’est-à-dire d’une
quarantaine d’anciens diplômes nationaux qui ont été transformés en
diplômes de grand établissement donnant le grade de Master. Les tarifs
applicables pour les étudiants de deuxième année des Masters concernés
vont de 1.500 euros, pour ceux dont le revenu fiscal familial déclaré
pour l’année
n-2 est inférieur à 40.000 euros, à 4.000 euros,
pour les revenus déclarés supérieurs à 80.000 euros par an. Deux
abattements de 500 euros sont prévus : l’un pour les familles résidant
en dehors de la région Île-de-France et l’autre pour les familles ayant
un deuxième enfant en formation post-bac. Les étudiants de première
année de Master bénéficient également d’un abattement de 500 euros,
tandis que les boursiers sont destinés à être exonérés.
Cette orientation est préoccupante à
plusieurs titres. Les tarifs adoptés font fi de tout impératif de
justice sociale, puisqu’ils ne sont plus progressifs au-delà d’un
revenu familial annuel de 80.000 euros, et défavorisent les enfants
dont les parents appartiennent aux classes moyennes. Pour ces familles,
plusieurs milliers d’euros représentent une somme importante qui
s’ajoute aux cotisations de sécurité sociale et aux frais d’entretien
de jeunes adultes. Ainsi, on risque d’exclure ou de conduire à
l’auto-exclusion de nombreux étudiants qui sont justement ceux qui ne
peuvent espérer accéder aux grandes écoles pour des raisons
financières. Faut-il à cet égard rappeler les propos de Madame la
ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche qui avait
promis qu’il n’y aurait pas d’augmentation des frais d’inscription dans
les universités au moment du vote de la loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités ?
La présidence de l’université
Paris-Dauphine tente de justifier ces tarifs en prétendant, d’une part,
qu’ils permettront de dégager des ressources supplémentaires afin
d’améliorer la qualité des formations et en relevant, d’autre part, que
des étudiants bien formés trouveront un premier emploi bien rémunéré
dans des conditions optimales. Toutefois, cette double affirmation peut
facilement être contredite. En établissant un lien dangereux entre le
« prix du diplôme » et le « prix de marché » des diplômés qui ne
peuvent être que volatils en dépendant étroitement de la conjoncture
économique, les tarifs retenus risquent au contraire d’avoir un effet
pervers sur la pédagogie qui a pourtant toujours été l’un des points
d’excellence de l’université Paris-Dauphine, car ils paraissent bien
s’inscrire dans une logique inacceptable de « marchandisation des
diplômes ». Dès lors, il n’est pas difficile d’imaginer que certains
puissent exercer des pressions pour obtenir un diplôme, indépendamment
de leur niveau réel. Qu’en sera-t-il de l’égalité des chances, principe
auquel ne peuvent qu’adhérer les fonctionnaires que nous sommes,
attachés aux valeurs de la République ? Plus généralement, cette
augmentation des frais d’inscription, qui ne peut que créer un fossé
entre les ressources financières des universités fréquentées par des
étudiants issus de milieux aisés et les ressources des établissements
fréquentés par des jeunes gens issus des classes populaires, augure mal
de l’avenir du système universitaire français, car elle fera
immanquablement des droits perçus une variable d’ajustement budgétaire
susceptible d’offrir aux chefs d’établissements un palliatif en cas de
désengagement de l’État. D’ailleurs, quinze membres élus du conseil
d’administration de l’université Paris-Dauphine ont récemment adressé à
Madame la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche une
lettre ouverte par laquelle ils expriment leurs vives préoccupations.
Enfin, il est possible de douter
sérieusement de la validité de la décision adoptée par les instances de
l’université Paris-Dauphine. En effet, comme l’a rappelé le Conseil
d’État dans un avis
du 19 février 2008 demandé par Monsieur le Premier Ministre lui-même,
les établissements public à caractère scientifique, culturel et
professionnel, comme l’université Paris-Dauphine, « ont vocation, à
titre principal, à délivrer des diplômes nationaux ». Certes, selon le décret du
17 septembre 2009, l’université Paris-Dauphine peut créer des diplômes
d’établissement conférant le grade de Master et fixer ainsi librement
le montant des droits d’inscription concernant ces filières. Cependant,
l’évolution actuelle que nous dénonçons consiste non pas à créer des
diplômes nouveaux, mais à transformer sans aucun changement substantiel
des diplômes initialement nationaux, depuis parfois plus de dix ou
vingt ans, en diplômes d’établissement dans le seul et unique but de
pouvoir déterminer sans contrainte le montant des frais d’inscription.
Le Conseil d’État, dans son avis précité, à indiqué que « la
délibération d’un établissement public à caractère scientifique,
culturel et professionnel qui requalifierait à l’identique ou, du
moins, sans changement substantiel, un diplôme national qu’il a été
habilité à délivrer, en diplôme propre, aux seules fins d’échapper à la
réglementation des droits d’inscription prévue par la loi du 24 mai
1951 pourrait être regardée comme entachée d’un détournement de pouvoir
de nature à justifier son annulation contentieuse ».
Au regard de ces explications, il
serait intéressant de savoir si la mesure adoptée par cet établissement
a vocation à servir de modèle aux autres établissements d’enseignement
supérieur français. Il s’agit d’un choix fondamental et la question
posée ne peut rester sans réponse.
Marie-Jo Bellosta, Maître de conférences
Andrée Brunet, Professeur
Sophie Grimwood, Secrétaire
François Pasqualini, Professeur