Collectif de Révolte Anti-Capitaliste Poitiers
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 Tribulations d’un Vélostar à Rennes

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Date d'inscription : 23/02/2008

Tribulations d’un Vélostar à Rennes Empty
MessageSujet: Tribulations d’un Vélostar à Rennes   Tribulations d’un Vélostar à Rennes Icon_minitimeJeu 24 Déc - 4:48

Le syndrome de Copenhague ou les tribulations d’un Vélostar à Rennes.

«
Qu’arrive-t-il aux Vélostars ? », demandait Ouest-France sur ses
affichettes jaunes, le 13 octobre 2009, comme pour répandre une traînée
de mystère dans les rues policées de la ville de Rennes, et booster un
peu ses ventes, qui n’en finissent plus de toucher le fond de la
Vilaine. C’est cette vieille fripouille de Samuel Nohra, porte-parole
agréé de la maréchaussée et de l’oligarchie municipale, qui devait nous
donner la réponse à cette impayable énigme, dans les pages du quotidien
breton à 80 centimes d’euros : « Un Vélostar sur trois est volé ou
vandalisé ! » (1) Diable ! C’est que le ton était davantage à
l’indignation, chez les fonctionnaires du commissariat de police et
chez les cadres de Keolis : « Nous sommes surpris par le manque de
civisme », déplorait l’un de ces derniers, impatient de faire passer
tous les Rennais « en mode oxygéné ». Même son de cloche chez les élus
dits socialistes de la Ville de Rennes, qui vont pleurnicher à l’hôtel
de police chaque fois qu’un grain de sable vient se glisser dans leur
formidable machine à amadouer les investisseurs privés et les touristes
d’affaires : « 40 personnes ont déjà été interpellées par la police »,
se félicitait ainsi Guy Jouhier, vice-président aux transports à Rennes
Métropole.
Pourtant, les cadres de Keolis, qui ne sont pas nés de la dernière
pluie, s’y attendaient un peu, à ces vols et à ces dégradations,
quoique « pas dans ces proportions » ; et le même Guy Jouhier, à qui on
ne la fait pas, d’ajouter : « Malheureusement, nous ne somme pas
vraiment surpris. Dans toutes les villes qui ont expérimenté ce
système, on a observé, dans les premières semaines, une forte
proportion de vols et dégradations. » Comme disaient nos anciens : «
Qui se sent morveux se mouche. » Un peu plus tôt dans l’année, en
effet, le 27 mai 2009, la Mairie de Paris, main dans la main avec le
géant de la réclame en milieu urbain JCDecaux, avait lancé une campagne
de communication sur le thème : « Un Vélib’ ça se protège ! » (2) On
nous apprenait à cette occasion, sur des affiches illustrées par le
gentil caricaturiste Cabu, affiches qui continuent d’agrémenter, à
l’heure où nous écrivons, les trottoirs de la capitale, que depuis le
lancement de ce sympathique « système de vélos en libre-service », le
15 juillet 2007, 16 000 bicyclettes avaient été vandalisées, et 8 000
autres avaient disparu dans la nature — de quoi faire passer les 300
Vélostars envolés de la Ville de Rennes pour quelques feuilles de
salade glanées sur les étals du marché des Lices.
Mais quoi ! Va-t-on empêcher longtemps les Rennais de s’adonner
goulûment aux joyeux caprices de la mobilité à la carte et de la
licence vélocipédique ? Sur la page — étonnamment documentée — de
l’encyclopédie en ligne Wikipédia qui lui est consacré, on nous apprend
que le nom de baptême du Vélib’ est un mot-valise, « contraction de
vélo et liberté ». (3) Et la Mairie de Paris d’ajouter, sur son site
Internet : « La “Véliberté” est l’affaire de tous, et elle doit être
préservée. » Ainsi, pour atteindre leurs objectifs en matière de baisse
des émissions de gaz à effet de serre, les grandes villes françaises,
de concert avec les industriels de la pollution visuelle de masse,
s’efforcent aujourd’hui de « développer » l’usage du vélo —
c’est-à-dire de le rendre économiquement profitable — tout en
promettant un surcroît de liberté à tous ceux qui leur lâcheront un
chèque de caution de 150 euros, encaissable à tout moment, ou un numéro
de carte bancaire. Et ce qui vaut pour le « Vélostar » rennais et le «
Vélib’ » parisien vaut identiquement pour « Le vélo » marseillais, le «
Vélopop » d’Avignon, le « Vélô » toulousain, le « Vélo’v » lyonnais, le
« Vélocité » de Besançon ou le « V’Hello » [sic] d’Aix-en-Provence,
dont les noms, aussi grotesques les uns que les autres, sont à l’image
de la triste liberté qu’ils offrent à leurs utilisateurs — qui jurent
déjà, mais un peu tard, qu’on ne les y prendra plus. Car si la Mairie
de Paris annonçait encore sur ses affiches : « Vélib’ est à tous…
protégez-le. », les Conditions générales d’accès et d’utilisation du
service Vélib’, moins lyriques, stipulaient au contraire qu’il est «
expressément interdit au Client de permettre de quelque façon que ce
soit l’utilisation, gratuite ou non, du Vélo, propriété de SOMUPI, par
des tiers quels qu’ils soient » (4).
« Prenez ce vélo, cher ami, il est à vous ; hormis qu’il est à moi ! »
Derrière cet apparent conflit de propriété, se cache en vérité une
vieille combine commerciale, entérinée par les mêmes Conditions
générales d’accès et d’utilisation, garantissant que les profits de
Vélib’ reviendront dûment à la SOMUPI, alors que les pertes incomberont
seulement à ses utilisateurs. Ainsi, selon l’article 8.3 : « Le Client
assume la garde du Vélo qu’il a retiré. Il devra éviter sa dégradation,
sa destruction ou sa disparition. » Et l’article 8.4, limpide : « Le
Client s’engage à retirer et restituer le Vélo dans les délais de la
Durée d’Utilisation Continue Autorisée. Le Client accepte par avance
que tout manquement à cette obligation donnera droit à SOMUPI au
prélèvement d’une pénalité forfaitaire de 150 € maximum […] ».
Assurément, ce chantage au portefeuille des « Clients » de SOMUPI
n’aura pas suffi à dissuader les batteurs de grèves parisiens, qui ont
choisi pour leur part de prendre les slogans de la Mairie de Paris à la
lettre, en utilisant les Vélib’ comme s’ils étaient effectivement les
leurs. Il faut dire que les clients en question, qui auraient mieux
fait d’y regarder à deux fois, ont accepté sans vraiment le savoir
d’endosser le statut du voleur, à la place de ceux-là, chaque fois
qu’un vélo en libre-service se ferait escamoter. On désigne a priori un
coupable, pour un délit somme toute attrayant, et l’on s’étonne que
d’autres s’empressent de venir le commettre en son nom ?
Nicolas Machiavel a dit : « Si quelqu’un te dispute les honneurs de l’échafaud, cède-les lui de bon cœur. » (5)
Du reste, pour trancher la question de savoir à qui appartient
réellement un Vélib’ ou un Vélostar, « à tous » ou à JCDecaux, aux
Rennais ou à Keolis, c’est à la loi que les marchands de trajets
oxygénés s’en remettront toujours, en dernière instance, c’est-à-dire
aux forces de police. (6) Mais chaque client sera d’autant plus
responsable du destin de son vélo d’un jour, et donc de sa valeur
d’échange, que celui-ci aura une fâcheuse tendance à se faire la malle,
avec ou sans la complicité de celui-là — ce que n’ont jamais ignoré les
promoteurs du Cyclocity. (7) Dans ces conditions, en fait de liberté,
c’est bien plutôt un joug en forme d’épée de Damoclès bancaire que tous
les boutiquiers du vélo dit « en libre-service » s’échinent à nous
vendre, et au prix fort.
Aussi bien, pour prendre la mesure de cette arnaque cyclotouristique
à grande échelle, tout de même que de ses effets inattendus, et parfois
salutaires — effets, encore une fois, directement politiques —, il
fallait quitter la ville de Rennes, quitter Paris, quitter la France ;
il fallait se rendre à Copenhague. Au mois d’août 2009, la section
rennaise de l’Institut de démobilisation était en voyage d’étude dans
la capitale danoise, célèbre pour ses cohortes magnifiques de
deux-roues et de triporteurs, qui dévalent les rues à toute heure du
jour et de la nuit, et enchevêtrent sur les trottoirs l’armature de
leurs squelettes de métal bariolés. A Copenhague, certes, comme à
Paris, comme à Rennes, beaucoup de vélos sont cadenassés, et fermement
attachés au mobilier urbain par leurs petits propriétaires inquiets. Oh
! combien de fois nous sommes-nous désolés de voir, dans nos villes
modernisées, et jusque sur la bienheureuse île de Sjælland, ces
myriades de vélos immobiles, arrimés solidement aux arbres et aux
réverbères à l’aide de cadenas invraisemblables. Fichtre ! C’est à
désespérer des hommes. Chaque citadin régnant sur son petit deux roues
rien qu’à lui, et prêt à appeler la police, sitôt qu’un vagabond
cherchera à s’en saisir pour reposer ses pieds fourbus le temps d’une
course folle dans le labyrinthe de la cité. Dans ces villes indécentes,
il y a les propriétaires de vélos d’un côté, et en face tous les
envieux que la roue de la fortune a condamnés à regarder pédaler les
autres. Si bien qu’entre les premiers et les seconds, il a fallu mettre
les forces de l’ordre, qui ne comptent pas leurs heures pour traquer
les dénicheurs de bicyclettes en cavale.
Et nous avions suggéré le contraire, dans certains de nos pamphlets,
pour en finir avec la guerre des biens ; nous avions proposé de rendre
tous les vélos à leur statut de chose épave, ou de corps flottant, en
prohibant définitivement l’usage des chaînes et des verrous. (Cool C’est
très facile à comprendre. Chacun chevauche maintenant le premier cycle
qui lui tombe sous la main, ce qui ne manque jamais d’arriver, dans ces
paysages urbains où ils se comptent par centaines et par milliers ;
chacun abandonne sa bécane une fois arrivé à destination, flottante,
disponible pour le prochain qui passera — certain qu’un autre aura
déposé sa monture dans le voisinage, sitôt qu’il lui faudra prendre le
chemin du retour. Voilà à quoi devraient ressembler des vélos libres,
des vélos libérés enfin du fléau de la propriété privée. Et cela
assurément n’a rien à voir avec ces détestables Vélib’ ou ces
pitoyables Vélostars, amarrés à de lourds dispositifs anti-vol, et dont
l’utilisation est fortement taxée, et contrôlée en temps réel par tout
un fatras de puces et de mouchards ; ces « vélos-morts » qu’installent
les mairies dites socialistes dans leurs centres-villes, en lien étroit
avec les services de police.
Or ce que nous avons découvert, l’été dernier, entre Kongens Nytorv
et Istedgade, c’est l’existence, à côté du parc de vélos traditionnel,
c’est-à-dire de vélos vigoureusement rivés à leurs fers, et pour ainsi
dire coextensif à lui, d’un immense parc de vélos épaves, certains
d’entre eux, allez, complètement déglingués, ou du moins dans un état
interdisant leur usage immédiat, mais d’autres, figurez-vous, en
parfait état de marche. L’utopie d’un monde d’objets trouvés, nous
l’avions là, sous nos yeux — à une échelle réduite sans doute, et
imparfaite encore, puisqu’elle devait coexister avec le système
classique, et se loger tant bien que mal dans ses interstices —, à
Copenhague. Surtout, c’est dire à quel point les autorités danoises
honorent tout ce qui arbore une selle ou un guidon, contrairement à nos
cupides édiles, nous avons constaté que les vélos publics de la
métropole, mis à la disposition des piétons fatigués ou des touristes,
étaient épaves eux-mêmes. On les prenait ici, devant le Tivoli, on
pédalait à toute berzingue le long du boulevard Andersen, on rejoignait
la Langebrogade, avant de flâner le long du Stadsgraven, ou de
rejoindre le canal de Christianshavn, et on les déposait ailleurs,
autour du Rosenborg Have peut-être, ou juste devant la terrasse du
Floss Bar, pour qu’un autre champion les pilote à son tour. Et Guy
Jouhier, vice-président aux transports de Rennes Métropole, pourra bien
nous vanter ses abonnements au Vélostar, en arguant que c’est
précisément le mode de fonctionnement de ses satanées montures —
attendu qu’on les prend ici, et qu’on les redépose là, au hasard de nos
pulsions nomadiques —, nous resterons sourds à ses boniments. Car les
lourds vélos à rétropédalage de la ville de Copenhague, aussi hideux
soient-ils, aussi inconfortables et indociles, les vélos de Copenhague
sont gratuits, entendez-nous bien, entièrement gratuits, gardez-les une
heure, un jour, une semaine, une année entière si vous voulez,
traversez le Danemark ou rejoignez la Suède en empruntant
l’Øresundsbro, il ne vous en coûtera pas une couronne.
La bonne conscience bourgeoise, scandalisée, pourra bien crier haro
sur le voleur, pensant que ces vélos épaves, abandonnés là par la
municipalité, seront raflés en moins de temps qu’il ne faut pour le
dire, par tous les maraudeurs danois, rejoints bientôt par des filous
venus des quatre coins de la planète, et aux frais de la collectivité.
Mais ce que la section rennaise de l’Institut de démobilisation
voudrait rappeler ici, afin d’y insister, c’est non seulement que les
légions de vélos épaves de Vesterbro et de Christiania nous ont semblé
à proprement parler inépuisables, quand bien même certains d’entre eux
disparaîtraient effectivement de la circulation ; mais surtout, que ce
sont manifestement les Vélostar de la Ville de Rennes, qui se font
littéralement piller, comme les Vélib’ parisiens, sans parler des
Vélopop, des Vélo’v, des V’Hello, des Vélocité, et des Vélô, auxquels
nous souhaitons bon voyage. Et c’est très simple à comprendre, quoique
les principaux intéressés se refusent à l’entendre.
D’abord, s’il était besoin d’y revenir, le mot « vol » n’a de sens
que dans le cadre étroit d’une théorie de la propriété privée, comme
l’a fermement montré Max Stirner. En effet, « l’idée de “vol” peut-elle
subsister si on ne laisse pas subsister l’idée de “propriété” ? Comment
pourrait-on voler, s’il n’y avait pas de propriété ? Ce qui
n’appartient à personne ne saurait être volé, celui qui puise de l’eau
dans la mer ne vole pas. Par conséquent la propriété n’est pas un vol,
ce n’est que par elle que le vol devient possible. » (9) Autrement dit,
il n’y a pas de différence, à Copenhague, entre le fait de voler un
vélo abandonné, d’où qu’il vienne, et celui de s’en servir, aussi
longtemps qu’on veut, avant de le céder à un autre. Ensuite, les
fonctionnaires du commissariat de police de Rennes et les cadres de
Keolis devraient garder à l’esprit que notre monde est peuplé seulement
de choses épaves, c’est-à-dire d’objets errants, à la dérive, d’objets
farouches qui s’égarent en s’enfuyant, d’objets vagabonds qui viennent
s’échouer ici ou là, en fonction des caprices de la houle, avant de
reprendre le large. Blaise Pascal a dit un jour que « c’est une
horrible chose de sentir s’écouler tout ce qu’on possède ». Or si les
philosophes sont parvenus à s’accorder sur un point, c’est bien
celui-ci, que tout s’écoule autour de nous, que le monde est ce grand
fleuve dont parlait Héraclite, gorgé d’épaves emportées par le courant
impétueux, et dans lequel il paraît insensé de vouloir chevaucher deux
fois de suite le même V.T.T. (10) A quoi bon déployer tout un arsenal
dissuasif, et aux frais de la collectivité encore, pour assigner à
résidence quelques célérifères informes, qui finiront de toute façon,
tôt ou tard, et qu’on le veuille ou non, par prendre la poudre
d’escampette ?
Surtout, et il y a là matière à moult songerie politique, si
quelques Rennais un peu plus hardis que la moyenne volent ici ou là des
Vélostars en veux-tu en voilà, ce n’est pas pour les enfermer dans une
cave, ou les revendre à la sauvette, à Marseille ou à Casablanca. (11)
S’ils les volent, ces coucous immondes, c’est à tout le moins pour s’en
servir, oui, à l’évidence, pour faire un petit bout de chemin en
pédalant, sur les quais, ou du côté des Gayeulles ; mais c’est en
premier lieu, croyons-nous, pour égayer un peu, en l’an de grâce 2009,
leurs mornes journées de Rennais mélancoliques — c’est qu’en milieu
capitaliste, les plaisirs du travail salarié parviennent rarement à
combler les prodigieux appétits de nos usines désirantes.
Mais quoi ! Abandonnez un Vélostar dans la ville de Rennes, place
sainte Anne ou place du Champ-Jacquet, appuyez-le contre un arbre ou un
réverbère, et observez ce qui arrive, ouvrez les yeux en grand,
patientez un peu, tendez l’oreille, vous allez voir, attendez encore,
vous y êtes ? C’est ça ! Il ne s’est rien passé du tout ! Ce Vélostar à
l’abandon, ce Vélostar épave, tout le monde s’en désintéresse, tout le
monde s’en fout, les salariés comme les étudiants, les bobos comme les
anars, et si par le plus grand des hasards un ancien maillot jaune
l’enfourche, ce Vélostar oublié, pour se rendre un peu plus loin, soyez
sûrs qu’il l’abandonnera de lui-même, aussitôt qu’il s’en sera servi,
plutôt que de s’encombrer plus longtemps d’un tel fardeau. Mais
regardez les un peu, ces Vélostars ! Ils sont lourds, ils sont
encombrants et incommodes, en vérité ils ne doivent de s’appeler des «
vélos » qu’à la mauvaise foi d’un designer agréé par le service «
dispositions disciplinaires » de la Ville de Rennes ; de la même
manière que les bancs de la place Hoche ne sont pas des bancs, mais
tout autre chose, comme chacun sait. (12) A ce titre, qu’on le veuille
ou non, les deux adolescents qui ont « mis le feu à des Vélostars » le
26 octobre dernier, adolescents auxquels l’Institut de démobilisation
voudrait témoigner sa plus profonde sympathie, ont simplement rendu, à
leur manière, un jugement esthétique. (13) Et à la vue encore de ces
monstrueux bataillons de Vélib’, dont la physionomie anomale est une
véritable insulte au bon goût, le slogan de la Mairie de Paris, « La
ville est plus belle à vélo », apparaît comme une sinistre
plaisanterie.
Nom de nom ! Regardez-les, ces Vélostars, qui coûtent à la
collectivité métropolitaine, on se demande bien par quel mystère, « 1
500 euros par an » — ce qui est, soyons honnêtes, bien peu de choses en
comparaison de la petite fortune que chacun d’entre eux fait tomber
directement dans les poches de Keolis Rennes. Personne n’en veut, de
ces vélos impotents, sinon pour s’en servir à la sauvette, une poignée
de secondes, et seulement en dernier ressort — c’est-à-dire quand la
milice bleue et jaune et noire et grise du STAR rôde autour de la
station de bus, à côté de la camionnette des flics. Abandonnez un
Vélostar dans la ville, où vous voulez, il restera là des plombes, des
jours entiers, sans que personne n’y prête attention ; la ville de
Rennes est déjà suffisamment laide pour qu’on s’impose encore de poser
les yeux sur son épouvantable mobilier urbain à pédales. D’autant que
s’il partait, ce Vélostar, bon an mal an, ce serait pour revenir
pratiquement au même endroit, quelques minutes plus tard. Et s’il
disparaissait de la ville, au bout du compte, et s’il s’éclipsait, du
jour au lendemain, si tous les Vélostars désertaient les rues de
Rennes, pour retourner là-bas, sur leur foutue planète, n’y aurait-il
pas lieu de se réjouir, plutôt que de se lamenter ?
Eh bien ! Mettez-leur maintenant des attaches, à ces Vélostars,
mettez-leur des chaînes, des cadenas, des accroches, des puces, des
chiens, tout ce que vous voudrez, allez-y gaiement. Ah ! Mais
immédiatement on se presse autour d’eux, place de la République ou
place des Lices, on joue des coudes, tous les Rennais affluent, devant
ces parkings à vélo bougrement alambiqués, avec leurs petits écrans
tactiles et leurs lumières bleues comme les gyrophares de la
gendarmerie. « Il semble que ce soit devenu un jeu de voler des
vélostars », se désole-t-on à Keolis. Comme s’il y avait de quoi
s’étonner ! Comme si ce n’était pas Keolis qui l’avait posé là, partout
dans la ville, ce jeu grandeur nature, ce grand casse-tête chinois à
l’attention des Rennais, dont la nature joueuse trouve difficilement à
se satisfaire des mots fléchés de Ouest-France. Comme si ce n’était pas
Keolis lui-même qui avait commencé, en voulant se faire un paquet de
fric avec ces vélos infirmes, dont on espérait que les piètres
aptitudes locomotrices constitueraient, pour les chapardeurs, le
meilleur dissuasif qui soit — alors que c’est exactement le contraire.
Mettez une vieille malle ouverte au milieu de la place sainte Anne,
quelques curieux se pencheront peut-être au-dessus d’elle, pour
regarder ce qu’il y a dedans, et s’en désintéresseront aussi vite, pour
aller musarder ailleurs. Remplacez-là maintenant par un coffre-fort, un
vrai, avec une épaisse porte blindée, imaginez-vous, comme dans les
sous-sols des banques, comme dans les films de bandits, et vous ne
compterez plus les as de la rapine, les rois du cambriolage, qui
viendront là la nuit, avec leur stéthoscopes ou leurs bâtons de
dynamite, sans même savoir ce qu’il contient, ce coffre, juste pour le
plaisir — et les paris qui ne manqueront pas de fleurir sur Internet.
Comme le disait Harpagon en personne : « On n’est pas peu embarrassé à
inventer dans toute une maison une cache fidèle ; car pour moi, les
coffres-forts me sont suspects, et je ne veux jamais m’y fier : je les
tiens justement une franche amorce à voleurs, et c’est toujours la
première chose que l’on va attaquer. » 14) On ne peut pas reprocher aux
cadres de Keolis et aux élus de la Ville de Rennes de bouder les textes
de l’Institut de démobilisation. Mais nous ne faisons jamais que
répéter ce qu’a déjà dit Sénèque avant nous, quand il avisait Lucilius
que « les objets sous scellés tentent le voleur » ; quand à l’inverse,
« tout ce qu’on n’enferme point est tenu pour chose vile. S’il trouve
des locaux ouverts, le cambrioleur passe outre ». (15)
Guy Jouhier, pragmatique, insiste : « Nous réfléchissons sur les
moyens à mettre en œuvre pour sécuriser les parcs. Revoir le système
d’attache, installer des caméras [de] vidéo surveillance ou prévoir des
parcs fermés. » Mais nous voyons mal, dans ces conditions, au nom de
quoi peut-il « espérer que ça va se calmer » ; quand nous voyons très
bien, en revanche, au nom de quoi pourrait-il craindre exactement le
contraire. Un Vélostar sur trois est volé ou vandalisé ? Mais vous
l’avez bien cherché, Monsieur Jouhier, en faisant de chacun d’entre eux
un petit bijou, un trésor qu’on ne peut emprunter qu’à condition de
mettre la main à la poche, et de lâcher son numéro de carte bancaire,
pour se faire ruiner en temps réel, chaque fois qu’on l’emprunte, ou
qu’il se réenclenche n’importe comment dans vos bornes détraquées pour
un oui pour un non ! Otez-leur toutes leurs chaînes, à vos vélos
carcéraux, et le monde entier s’en désintéressera, dans la minute ; on
arrêtera aussitôt de vous les chaparder, ou d’en faire de jolies
compressions à la César. Les Rennais, qui n’ont jamais eu besoin de
Keolis pour pédaler dans les rues de leur ville, ni des services de la
Mairie pour vivre intelligemment, vous les rendront de bon cœur, vos
900 tacots à deux-roues.
Le vice-président aux transports à Rennes Métropole, résolument
optimiste, se glorifie pourtant : « Chaque jour, 2 000 personnes les
utilisent. C’est un vrai service que nous rendons à la population. »
Mais un service à ce point dispendieux — un service où l’on n’hésite
pas à mettre un couteau sous la gorge des usagers-clients — n’est pas
un service du tout, seulement une vile réussite commerciale, attendu
que le parc de Vélostars est géré par une méprisable société privée,
dont nous n’avons de cesse de dénoncer la politique sécuritaire, tout
de même que les ambitions bassement mercantiles. (16) C’est qu’en
matière de « civisme », les cadres de Keolis ou de SOMUPI, qui
s’échinent à maximiser la rentabilité de leur nouvelle poule aux œufs
d’or, quitte à entuber leurs clients, à les ratiboiser même, comme nous
l’apprend à Paris l’édifiant site Internet velo-pourri.com, peuvent
difficilement se permettre de donner des leçons de morale. Aussi bien,
« quel voleur accepte qu’on le vole ? », demandait ironiquement saint
Augustin. Car les voleurs ne sont pas toujours du côté qu’on croit. A
Paris, on ne compte plus les utilisateurs de Vélib’ dont les comptes
bancaires ont été débités comme ça, sans prévenir, de 150 euros, alors
même qu’ils avaient correctement restitué leur clou à son point
d’attache ; ni ceux, plus nombreux encore, qui n’ont jamais pu
bénéficier des offres commerciales qu’on leur avait pourtant promises —
sans parler des « problèmes de lecture transpondeur » et la commode
incompétence du service clientèle. (17) A Rennes, de tels
dysfonctionnements ont d’ores et déjà été signalés, et la tendance va
s’intensifiant.
De là que l’Institut de démobilisation tire aujourd’hui la sonnette
d’alarme et invite tous les administrés de la capitale bretonne, gavés
jusqu’à l’asphyxie de propagande pour le Vélostar, à lui préférer sans
rougir l’emploi de leurs guiboles, ou de leurs trottinettes, en
attendant que tous les vélos de la ville soient rendus à leur statut de
bien épave, ce qui ne saurait tarder, à ce qu’on dit. Car plus les
dispositifs de sécurité seront lourds, et sophistiqués, et plus la
tentation sera forte, pour les Rennais, de résoudre le puzzle que
Keolis a déposé là, juste sous leurs yeux, presque par défi, pour les
racketter en douce, avec la complicité de Ouest-France et de Guy
Jouhier ; plus les dispositifs de sécurité seront raffinés, et plus les
Rennais s’amuseront à les forcer, ou à les contourner, comme autant de
problèmes d’Echecs, comme autant de Sudokus, libérant là leur esprit de
finesse et une fougue que mille UTEQ auraient encore du mal à réfréner.
Mais plus généralement, nous ne saurions mieux conseiller aux
possesseurs de bicyclettes eux-mêmes, dont on sait ici qu’ils ne
rechignent jamais à forcer l’antivol du vélo voisin, chaque fois que le
leur s’est fait la belle ; nous ne saurions mieux conseiller aux
Rennais, qui volent aussi souvent qu’ils se font voler, c’est-à-dire à
tout bout de champ, de renoncer une bonne fois pour toutes à attacher
leurs fiers destriers de métal, afin de s’épargner toute cette peine,
et de pouvoir chevaucher en toute liberté des ribambelles de vélos
volages, comme nous l’avons fait ces semaines d’été, le cœur en joie,
sous le soleil de Copenhague. (18)

Institut de démobilisation
Octobre-novembre 2009
http://i2d.blog-libre.net
i2d@no-log.org

(1) Samuel, la prochaine fois que tu veux écrire un papier sur les
méchants voleurs et les gentils policiers, dans les pages de ton
torchon, envoie-nous un mail, pour nous demander notre avis, nous te le
donnerons avec plaisir, afin que tu le transmettes à tes lecteurs,
plutôt que de leur donner à entendre une nouvelle fois la voix des
notables et des flics, et passer encore pour un « journaliste
réactionnaire à la con ».
(2) Cf.
http://www.paris.fr/portail/deplacements/Portal.lut?page_id=9070&document_type_id=2&document_id=69211&portlet_id=21987
(3) Cf. http://fr.wikipedia.org/wiki/Vélib’
(4) Art. 9.2, cf.
http://www.velib.paris.fr/comment_ca_marche/faq__1/consultez_les_cgau
(Nous soulignons.) La SOMUPI est une filiale de JCDecaux SA.
(5) Le Maschere (Les Masques).
(6) De la même manière, lorsque les oligarques de la Ville de Rennes
organisent un débat public intitulé « A qui appartient le centre-ville
? », le 12 novembre 2009, dans le cadre d’une ridicule « Caravane des
quartiers », l’incroyable dispositif de sécurité déployé sous le
chapiteau de la place du Champ de Mars (vigiles, police municipale,
police nationale, BAC, agents de la DCRI, pompiers) répond à la
question posée bien mieux que tous les beaux discours des « élus ».
(7) Même chose à Rennes : « Nous vous invitons à la plus grande
vigilance lors de la restitution de votre vélo à son point d’attache.
Nous vous rappelons qu’en cas de mauvaise restitution, votre
responsabilité est engagée. Vous vous exposez non seulement au débit de
votre crédit temps mais aussi au blocage de votre compte LE vélo STAR,
voire à l’encaissement de la caution si le vélo venait à disparaître. »
Cf. http://www.levelostar.fr
(Cool Cf. « Res perit domino ou les tribulations de l’objet trouvé », Institut de démobilisation, http://i2d.blog-libre.net
(9) L’Unique et sa propriété.
(10) Res perit domino, op. cité. N’est-ce pas encore les infinies
pérégrinations des choses, et la joyeuse turbulence qui anime les
pièces du grand puzzle de la nature, que Guy de Maupassant s’est amusé
à décrire, dans la nouvelle « Qui sait ? » ? « Et voilà que j’aperçus
tout à coup, sur le seuil de ma porte, un fauteuil, mon grand fauteuil
de lecture, qui sortait en se dandinant. Il s’en alla par le jardin.
D’autres le suivaient, ceux de mon salon, puis les canapés bas et se
traînant comme des crocodiles sur leurs courtes pattes, puis toutes mes
chaises, avec des bonds de chèvres, et les petits tabourets qui
trottaient comme des lapins. »
(11) Cf. Marie-Christine Tabet, « Le Vélib’, si populaire mais si cher
», Le Figaro, 24/06/2008. « Les douaniers retrouvent fréquemment à
Marseille des Vélib’ dans les containers des ferries qui se rendent au
Maghreb. Et les touristes se sont habitués à les croiser dans les rues
de Casablanca. Il y a quelques semaines, c’est en Roumanie qu’une
bicyclette parisienne a été retrouvée dans un camp de Roms. »
(12) Cf. « Epaule d’Ulysse à son retour de Troie. Les bancs, tabourets
modernes, à l’échine du vagabond », Institut de démobilisation,
http://i2d.blog-libre.net
(13) Cf. Ouest-France, 28/10/09.
(14) Molière, L’Avare.
(15) Lettres à Lucilius, VII, 68, 4.
(16) Voir à ce titre nos « Quelques remarques séditieuses regardant les
contrôleurs du Service de Transport de l’Agglomération Rennaise (STAR)
», Institut de démobilisation, http://i2d.blog-libre.net
(17) Cf. http://www.velib-pourri.com/ A titre d’exemple, Firulete
écrit, le 07/11 dernier, à 12:54:20 : « Je suis dans le même cas. Je me
suis réabonné suivant les conditions qui permettaient de bénéficier de
deux mois supplémentaires et je ne les ai pas eu. J’ai téléphoné chez
Vélib’ et ils m’ont dit que la promotion n’existait plus. Je les ai
informés qu’à l’époque elle était visible sur leur site. L’employé m’a
dit de l’écrire et d’envoyer la lettre à Vélib’. Je l’ai fait et Vélib’
n’a même pas répondu à ma lettre. C’est honteux. Ce ne sont pas les
deux mois de plus d’abonnement qui me font réagir, c’est la mauvaise
foi et leurs agissements malhonnêtes qui me font penser qu’on est
devant des délinquants. »
(18) Une série de propositions concrètes sera prochainement adressée
aux Rennais, pour les encourager d’abord à libérer ici ou là certains
biens mobiliers, dont nous avons observé qu’ils avaient été sciemment
supprimés de l’espace public par le bourgmestre de la Ville de Rennes,
avant de les inviter derechef à libérer leurs vélos terribles, et tous
en chœur, dans les rues et ruelles de la métropole.
Source: http://i2d.blog-libre.net/archives/2009/12/14
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