Par Zineb Dryef | Rue89 | 27/09/2009 | 21H36
Sans contrat ni salaire décent, le travail en prison vise-t-il vraiment la réinsertion des détenus ? Reportage.S'il ne fallait pas traverser plusieurs
sas de sécurité et un détecteur de métaux avant de pénétrer dans les
ateliers, rien ne distinguerait cette aire de travail du centre de
détention de Melun d'une quelconque usine.
Il y a d'abord le hall qui abrite les ateliers de l'imprimerie
administrative. Derrière leurs machines, les détenus vêtus de bleu
travaillent sans mot dire dans un formidable vacarme de machines et de
magnétos.
« On décompose le travail au maximum », explique Alain Hochet,
responsable de l'atelier. « De la fabrication jusqu'à la livraison, on
couvre tous les besoins de la chaîne graphique. »
On
conduit les machines offset, on détaille les grandes feuilles
imprimées, on numérote, on découpe, on maquette, on procède à
l'encrage, on coud, on emballe et on orne même à la main. Au fond,
isolés dans des pièces fermées, certains accomplissent des gestes
semblant d'une grande précision.
Le responsable est fier de l'atelier de reliure d'art. Derrière son
bureau, un détenu s'applique à nettoyer des jaquettes en cuir
commandées par un ministère. Lui aussi semble fier. « On a restauré un
livre de 1576 », dit-il. Une commande privée.
Les 105 détenus qui travaillent dans cet atelier sont employés par
la Régie industrielle des établissements pénitentiaires, la RIEP. 80%
de leur production est vendue au service public, notamment au ministère
de la Justice. Les détenus fabriquent ainsi la majorité des documents
judiciaires.
« Pas de problèmes de sécurité, les scies sont sous clé »Plus loin, c'est l'atelier de métallurgie, un peu sur le déclin. Une
trentaine de personne travaille ici, surtout pour le privé. Là, un
jeune homme s'active sur un lit dont les pieds se fixent au sol. C'est
une commande de la préfecture de police : 59 lits pour le centre de
rétention de Vincennes. Plus loin, des armoires à fusils à destination
de la prison de Melun sont prêtes à livrer. Mais il y a aussi un
portail de grande taille commandé par un particulier ou des cabines de
douche pour la prison.
Et partout, des scies, des barres de métal… « Oh non, il n'y a pas
de problèmes de sécurité, rassure Gérard Blot, responsable de l'atelier
depuis trente-cinq ans. Tout est contrôlé. Avant le départ des palettes
pour les livraisons, on vérifie tout. Et les scies sont sous clé. »
(Voir la vidéo)A Melun, on s'enorgueillit d'avoir un taux
de travail important. Sur quelque 300 détenus, plus de 200 travaillent.
« Non seulement ils travaillent, mais ils sont formés », explique
Christophe Comparot, responsable du travail de la prison.
Les privilégiés sont assignés à des tâches qualifiantes. Au sein de
l'imprimerie, une pièce abrite ainsi huit détenus travaillant pour
l'Institut national de l'audiovisuel (INA). Après une formation de
plusieurs mois, ils sont chargés de restaurer puis de numériser des
archives audiovisuelles.
Une sous-traitance que l'INA assume d'autant plus qu'il s'agit d'un
programme réfléchi à des fins de réinsertion pour les prisonniers. Et
non pour avoir de la main-d'œuvre à très bas prix, principale
motivation des clients privés de l'administration pénitenciaire -qui ne
souhaitent pas dévoiler leur identité.
Un travail non qualifiant En 2007, 48 439 personnes ont travaillé en prison. Soit près de 40%
de la population carcérale. Il existe trois types de travail :
- Le service général : payés par l'Administration pénitentiaire, les
détenus effectuent des travaux d'entretien, de maintenance dans la
prison.
- La Régie industrielle des établissements pénitentiaire : des
ateliers comme à Melun qui produisent pour leur propre compte ou pour
des clients extérieurs.
- Les concessionnaires : on met à disposition de clients privés la main-d'œuvre carcérale.
Marie Crétenot, responsable de la permanence juridique de l'Organisation Internationale des Prisons (OIP), regrette le manque de réflexion sur le rôle du travail en prison :
« Ce que fait l'INA, c'est très bien, les détenus ont de
véritables compétences après leur formation. Ce n'est malheureusement
pas général. L'essentiel du travail en prison n'est pas qualifiant
parce qu'il s'agit de tâches qui n'existent plus à l'extérieur. On ne
prépare donc pas du tout le prisonnier à sa sortie. »
Les salaires… trop basLes détenus sont payés à l'heure ou au nombre de pièces, la
rémunération varie entre 180 et 450 euros par mois. Les mieux lotis
sont ceux qui travaillent pour la RIEP. La moyenne des salaires y est
de 521 euros, contre 244 euros pour le service général. A Melun, les détenus travaillent cinq heures par jour, cinq fois par semaine.
Le salaire minimum horaire est de 3,27 euros
en maison d'arrêt et de 3,54 euros en centre de détention, contre 7,61
euros hors prison.
Dans son rapport 2008, Jean-Marie Delarue, contrôleur général des
lieux de privation des libertés, souligne la modestie des salaires et
la rareté du travail en prison.
Le salaire des prisonniers est divisé en trois parts : une somme
disponible pour cantiner, un pécule mis à disposition à la sortie et,
le cas échéant, le versement des indemnités des parties civiles (qui
peuvent atteindre entre 20 à 40% du salaire sauf s'il est inférieur à
200 euros). Le bulletin de salaire détaille ces différents éléments.
Téléchargez le bulletin de paie anonyme
Le droit du travail inexistantEn prison, le droit du travail ne s'applique pas aux détenus. Un
support d'engagement est bien signé entre le détenu et l'administration
pénitentiaire mais il s'agit pas d'un contrat de travail. Les détenus
n'ont pas le statut juridique de salarié. Ils ne disposent pas de
compensations en cas de maladie, d'accident du travail ou de
licenciement. Il n'est pas question de congés payés, de droit syndical
ni d'assurance chômage.
Un rapport de l'Institut Montaigne intitulé « Rendre la prison utile »
plaide pour le travail obligatoire (comme dans de nombreux pays
européens) et pour la signature d'un contrat entre le prisonnier et
l'employeur relevant du droit administratif.
Ceci afin de faire du travail un véritable outil de réinsertion et
non plus seulement un moyen d'occuper les prisonniers et de maintenir
l'ordre dans les prisons.
La loi pénitentiaire de 2009 prévoit la mise en place d'un « acte
d'engagement » mais refuse les dispositions qui existent ailleurs en
Europe craignant que des avantages au profit des détenus (congés payés,
rémunération au niveau du SMIC, droits à indemnisation en cas de
rupture du contrat ou encore des droits collectifs) résultent des
charges financières dissuasives pour les entreprises privées. Celles-là
même qui proposent les tâches les moins qualifiantes et les moins bien
payées aux détenus.
Photos : vues extérieures de la prison de Melun (Zineb Dryef/Rue89). A lire aussi sur Rue89 et sur Eco89
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