Des enseignants en quête de nouveaux modes d'action, par Luc Cédelle
Les grèves dans l'éducation nationale ? Un "rituel", moquait Xavier Darcos. Son successeur, Luc Chatel,
sachant les difficultés qui se présentent devant lui, se garde de
prononcer la moindre parole provocatrice. N'empêche : la causticité de
M. Darcos touchait un point sensible, et l'actuelle rentrée est en
train de le démontre.
"Les collègues nous renvoient dans la figure ce côté rituel des journées d'action", constate Thierry Cadart,
secrétaire général du SGEN-CFDT, très réservé vis-à-vis des mots
d'ordre qui pourraient venir de la fédération syndicale majoritaire, la
FSU. Mais même celle-ci, en cette rentrée, semble hésiter devant un
obstacle inédit : annoncer une "action" pourrait ne pas être pris au
sérieux. Personne ne croit, dans l'éducation, que les syndicats
auraient une capacité de mobilisation rapide. Pourtant, les motifs de
mécontentement s'amoncellent, en premier lieu la poursuite des
suppressions de postes, présentée comme inexorable par le nouveau
ministre.
Les deux principales organisations de la FSU ont tenté, ces derniers
jours, d'amorcer une mécanique syndicale classique. Le SNES, dans
l'enseignement secondaire, a prôné "une initiative de type grève avant les vacances de la Toussaint".
Le SNUipp, son homologue du primaire, avait laissé entendre qu'une
réunion des fédérations de l'éducation pourrait se tenir le 28 août
afin d'examiner les "perspectives d'action".
Non seulement les autres organisations ont fait la sourde oreille,
mais la fédération UNSA-Education, par l'intermédiaire du Syndicat des
enseignants (SE), a mis les pieds dans le plat. Son secrétaire général,
Christian Chevalier, a estimé que "vouloir organiser l'action alors qu'on n'a pas encore rencontré nos collègues dans les établissements" n'avait "pas grand sens, surtout pour se retrouver à vingt manifestants devant chaque inspection académique". M. Chevalier a admis que le problème était, plus profondément, "la faiblesse du syndicalisme enseignant et la vision caricaturale qu'en ont les collègues". Pour enfoncer le clou, il a estimé, appelant de ses voeux une "adaptation", que "si le syndicalisme est perçu comme désuet, c'est peut-être qu'il l'est"...
Au-delà d'une querelle anecdotique, ces propos posent la question,
déjà présente en filigrane au long des deux précédentes années
scolaires, de la capacité du syndicalisme traditionnel à influer sur la
réalité. Au rythme de deux ou trois par an, les "journées d'action" ont
occasionné une participation intermittente de nombreux enseignants. De
ce fait, les syndicats n'ont pu se prévaloir d'une montée en puissance
suffisante pour impressionner le gouvernement. A chaque fois, celui-ci
a laissé passer l'orage, ne modifiant (presque) en rien sa politique,
notamment budgétaire.
Les dernières élections professionnelles dans l'éducation, en
décembre 2008, ont pourtant montré, avec une participation de 62,6 %,
en hausse de 2 points par rapport au précédent scrutin de 2005, que les
syndicats d'enseignants restent représentatifs. L'essoufflement des
protestations reflète plutôt le souci de ne pas perdre encore une
journée de salaire et surtout de ne pas la perdre en vain.
La critique des actions syndicales comme autant de "coups d'épée dans l'eau"
contribue à dissocier les enseignants entre une masse désabusée, de
moins en moins disponible pour l'action collective, et une minorité
tentée par des formes de protestation radicales, comme actuellement
celle des "désobéisseurs", qui refusent ouvertement d'appliquer les
réformes. Le climat social dans l'éducation entre dans une logique du
tout ou rien. Celle-ci a une dimension manichéenne : pour de nombreux
protestataires, le véritable programme politique du gouvernement,
soigneusement masqué, est de "détruire" le service public. Comment, dans ces conditions, admettre l'idée de possibles compromis ?
De leur côté, entre le communiqué indigné mais sans impact et la
journée de grève qui se retourne contre eux, les syndicats recherchent
des chaînons intermédiaires, qui leur permettraient de hausser le ton
progressivement. Çà et là, certains militants se livrent à des
tentatives, pour l'instant peu concluantes, comme, en guise de grève,
verser une journée de salaire à une organisation humanitaire. D'autres,
avec plus de succès, s'appliquent à maîtriser la mobilisation
"numérique" consistant à monter rapidement un blog ou une pétition sur
Internet. Les 284 000 signatures obtenues par la pétition
intersyndicale de défense des réseaux d'aide (Rased) à l'école
primaire, lancée en octobre 2008, ont montré que cela pouvait payer.
Mais dans l'ensemble, les syndicalistes restent démunis. Dans une
vision politique de droite, beaucoup penseront : "bien fait !" ou "bon
débarras !". C'est une opinion à courte vue, négligeant d'éventuelles
et imprévisibles situations de crise qui, à défaut du rôle de
régulateur et d'amortisseur joué par le militantisme syndical
"historique", seraient l'heure de gloire de collectifs ou de
coordinations imperméables à toute négociation. En somme, il pourrait,
un jour, y avoir bien pire que les syndicats d'enseignants : pas de
syndicats d'enseignants.
vu sur dans le joujou d'Alain Minc