L'extrême gauche autonome connaît un regain de militantisme en Allemagne
Berlin Correspondante
Presque chaque nuit,
une voiture est incendiée dans la capitale allemande. Depuis le début
de l'année, 143 véhicules, souvent des marques haut de gamme, comme
Mercedes, BMW ou Audi, ont été détruits. Ce type d'action, en nette
augmentation depuis quelques années, est l'un des moyens d'expression
favoris des "autonomes", une mouvance anticapitaliste qui ne se
reconnaît pas dans les partis d'extrême gauche traditionnels.
Ces jeunes, qui manifestent en noir et le visage
masqué, se sont radicalisés depuis le G8 d'Heiligendamm, en 2007. En
témoignent les récents affrontements qui se sont produits à Hambourg,
le 4 juillet, et à Berlin, le 1er mai. Dans la ville hanséatique, près d'un millier de membres du "bloc noir"
(l'autre nom donné aux autonomes) ont attaqué les forces de l'ordre.
Bilan des émeutes : 67 arrestations, et 27 policiers blessés.Dans
la capitale allemande, il y a eu 289 arrestations, 273 policiers et 136
civils blessés. Certes, la ville est le théâtre de violentes
altercations chaque 1er Mai. Mais, cette année, "la violence a atteint une nouvelle qualité", estime-t-on au Verfassungschutz de Berlin, l'équivalent des renseignements généraux. "Ils ont délibérément cherché la confrontation", reconnaît Tim Laumeyer, un étudiant en histoire et l'un des porte-parole de la gauche "interventionniste", un réseau qui regroupe plusieurs groupuscules anticapitalistes et antifascistes, dont les autonomes.Leur
nombre est pourtant stable depuis plusieurs années : environ 5 800
personnes à travers tout le pays. Mais les services de renseignement
observent "un très important militantisme depuis 2007". "Beaucoup de jeunes s'étaient politisés à Heiligendamm",
explique Tim Laumeyer, La mobilisation a été d'autant plus forte en
2009 que l'année a été riche en événements : les 60 ans de la
République fédérale allemande et de l'OTAN, le sommet du G20.
Parallèlement, les médias s'intéressent davantage aux autonomes. "C'est considéré comme un succès dans le milieu", souligne-t-on à la direction fédérale du Verfassungschutz.
RÉACTION "SPONTANÉE"Le
comportement imprévisible des autonomes désempare les services de
police. Des individus commencent à jeter des pierres et des bouteilles
et, quelques secondes plus tard, d'autres groupes les suivent. Selon
les renseignements généraux, ils appliquent un principe simple : "S'orienter en fonction de la situation et décider spontanément." Ce mode opératoire a encore fait ses preuves dans le quartier de Kreuzberg, à Berlin, le 1er mai.Alors
que le cortège habituel formé par des altermondialistes et des
habitants du quartier passait devant une caserne de pompiers, une pluie
de pierres s'est abattue sur les policiers. "J'ai moi-même été surpris par la rapidité de cette action", témoigne le porte-parole de la gauche interventionniste.De
même, les dégradations de voitures ou d'immeubles ne font pas l'objet
d'une organisation particulière. Les autonomes prennent le plus souvent
pour cibles des objets ou des projets immobiliers de leur quartier et
agissent individuellement et sans coordination. Leur cagoule et leurs
vêtements noirs les rendent difficilement identifiables par la police.Quand
ils retirent leur tenue de combat, les autonomes reprennent une vie
normale. Beaucoup sont jeunes, étudiants et viennent de milieux plutôt
favorisés. Ils restent toujours attachés à l'absence de structures
fixes - même s'ils y sont moins hostiles qu'avant - et d'une idéologie
homogène : on retrouve parmi eux des anarchistes, des antifascistes ou
des écologistes radicaux.Traditionnellement, la lutte contre les néonazis fédérait une grande partie des membres du "bloc noir".
Aujourd'hui, c'est plutôt l'embourgeoisement de certains quartiers
berlinois qui mobilise. Ainsi le Carloft, un nouvel immeuble luxueux du
quartier de Kreuzberg dont les habitants peuvent, grâce à un ascenseur,
garer leur voiture devant la porte de leur appartement, a été attaqué à
plusieurs reprises.Jusqu'à présent, les autonomes ne profitent pas de la crise économique. "Il y a eu de nombreuses discussions au sein de l'extrême gauche, mais cela n'a pas débouché sur un nouveau mouvement", déplore l'étudiant en histoire. Selon lui, il manque un acteur capable de "fédérer les différents groupuscules". Cécile Calla
Libé