Collectif de Révolte Anti-Capitaliste Poitiers
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 Il y a 47ans,l'Etat a massacré!!

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MessageSujet: Il y a 47ans,l'Etat a massacré!!   Il y a 47ans,l'Etat a massacré!! Icon_minitimeVen 17 Oct - 13:40

[quote]



Ce qui
s'est passé le 17 octobre 1961
par
Charlotte Nordmann

1.
Le contexte


En
1961, la nécessité d'une solution négociée au conflit algérien s'est imposée.
Des négociations ont été officiellement ouvertes entre le gouvernement
français et le Gouvernement Provisoire de la République Algérienne le
20 mai 1961.
Il est hors de doute pour les participants que les négociations
aboutiront à l'institution d'un État algérien indépendant : les
discussions portent sur les conditions exactes de l'indépendance. Et
pourtant c'est à partir de l'été 1961 qu'eurent lieu les plus terribles
violences que connut le territoire métropolitain pendant la Guerre d'Algérie.

C'est cette contradiction que met en évidence l'examen des faits qui ont
conduit aux massacres du 17 octobre 1961.


En 1961,
Maurice Papon est préfet de police de Paris. Nommé à ce poste en 1958
sous la IVème République, il y a été maintenu par le président Charles
de Gaulle sous la Vème.
Lorsqu'en
1958 M. Papon est nommé préfet, à la suite de violentes manifestations
de policiers parisiens, sa recommandation est " l'efficacité " dont il
a fait preuve lors de son mandat de préfet à Constantine. De 1956 à 1958,
en tant que préfet et IGAME pour les départements de l'Est algérien, il
a instauré un système de répression dans lequel la torture est systématique,
les exécutions sommaires courantes. Lorsqu'il est nommé préfet de police
à Paris en 1958, il répond à une campagne d'attentats menés en métropole
par le F.L.N. en organisant des rafles massives de "Français musulmans
d'Algérie ". Les violences à l'encontre de la population nord-africaine
de Paris s'institutionnalisent : le préfet de police crée la Force de
police auxiliaire, constituée de harkis, qui pratique la torture
;
il fait ouvrir le Centre d'Identification de Vincennes, où peuvent être
internés, sur simple décision administrative, sans jugement, les Nord-Africains
" suspects". M. Papon va jusqu'à instaurer, le 1er septembre 1958,
un couvre-feu pour les Nord-africains. Boycotté par le F.L.N., il tombe
peu à peu en désuétude.
Au cours des opérations de police, des internements,
des rafles et des "contrôle" par les harkis, des hommes disparaissent.
De nombreuses plaintes sont déposées, pour torture, pour meurtre ;
malgré l'accumulation de témoignages accablants, malgré les constatations
de sévices par des médecins, malgré le nombre de disparitions, aucune
plainte n'aboutira.
Toute la population nord-africaine de la région
parisienne souffre de ces rafles systématiques et de la violence des harkis
qui patrouillent dans les quartiers qu'elle habite, par exemple dans le
18ème ou le 13ème arrondissement.


Ces violences
s'ajoutent à la condition extrêmement dure qui est faite par ailleurs
aux travailleurs nord-africains en métropole.Dans leur très grande
majorité, ce sont des célibataires que de grandes firmes industrielles
françaises ont fait venir par contingents : la France manque de main d'œuvre
et les populations rurales d'Algérie ou du Maroc constituent une force
de travail docile. Ils vivent dans des hôtels à Paris ou dans des bidonvilles,
comme à Nanterre. La surpopulation et l'isolement forcé qu'ils subissent
tiennent à la fois à leur pauvreté et au refus des propriétaires français
de leur louer des appartements. Les Algériens " immigrés " en métropole
sont très strictement encadrés par le F.L.N. Cela signifie en particulier
que tous sont contraints de cotiser - ceux qui refusent risquent la mort.

2.
D'août
1961 au couvre-feu d'octobre


En août
1961, les rafles et les perquisitions s'intensifient, les violences et
les détentions arbitraires, au faciès, se multiplient. Ce redoublement
de l'offensive policière se produit alors que le F.L.N. a cessé ses attentats
à Paris et en banlieue depuis plusieurs semaines.
Les attentats de
l'O.A.S. deviennent au même moment de plus en plus nombreux, visant parfois
des hôtels où vivent des Algériens. Fin juillet 1961, les négociations
entre le gouvernement français et le G.P.R.A. ont achoppé sur la question
du Sahara, la France contestant la souveraineté du futur État algérien
sur cette région. En août 1961, le président Charles de Gaulle est prêt
à céder sur cette question d'importance pour relancer les négociations.
Il entend en même temps être en position de force pour négocier. C'est
le sens de son geste lorsque, fin août 1961, il démet de ses fonctions
le Garde des Sceaux Edmond Michelet, favorable depuis longtemps à la négociation
avec le F.L.N. Il cède ainsi à la pression de son Premier ministre Michel
Debré, lequel est profondément partisan de l'Algérie française. En renvoyant
Edmond Michelet, il signifie qu'il accepte le durcissement de la répression
contre les " Français musulmans d'Algérie ".


Le F.L.N.
décide, fin août 1961, de reprendre sa campagne d'attentats en métropole.
Les policiers sont visés ; onze d'entre eux seront tués et dix-sept
autres blessés de la fin août au début octobre 1961. A la suite de ces
attentats, trois organisations syndicales de policiers, dont la principale,
se constituent en un " Comité permanent de coordination et de défense
" et exigent du pouvoir des exécutions de condamnés à mort et un couvre-feu
pour les Nord-africains A partir de septembre 1961, des rafles massives
sont organisées . Au cours de ces rafles, des personnes disparaissent.
C'est aussi à partir de septembre que l'on commence à entendre parler
de cadavres de Nord-africains retrouvés dans la Seine. A la pression
des policiers,
qui parlent de " se faire justice soi-même ", M.
Papon répond par un discours sans ambiguïté : le 2 octobre, aux obsèques
d'un policier, il déclare: " Pour un coup rendu, nous en porterons dix
", puis, plus tard, il assure les policiers que, s'ils tirent les premiers,
ils seront " couverts ". Le 5 octobre, il instaure un couvre-feu pour
les " Français musulmans d'Algérie ".
Malgré les dénégations du ministre
de l'Intérieur, ce couvre-feu raciste institutionnalise la confusion entre
" Algérien " et criminel.

3.
La manifestation


Le F.L.N.
décide d'organiser un boycott du couvre-feu. Une circulaire du 7 octobre
met fin à la campagne d'attentats en métropole : il s'agit par ce boycott
de changer entièrement de stratégie et de renverser l'opinion publique
française. Alors que les attentats s'inscrivaient dans une logique de
clandestinité et de guerre, le boycott du couvre-feu doit prendre la forme
d'une manifestation pacifique de masse
, au grand jour. La manifestation
doit avoir lieu dans tout Paris, le long des artères principales de la
ville. Tous doivent y participer, les familles entières. Les manifestants
ont la consigne de ne répondre à aucune provocation, à aucune violence
; des cadres du F.L.N. les fouillent avant la manifestation pour s'assurer
qu'ils n'ont rien qui puisse servir d'arme. Tous les Algériens de la région
parisienne doivent participer à la manifestation, sous la contrainte si
nécessaire : il s'agit non seulement pour la Fédération de France du F.L.N.
de démontrer son emprise sur les Algériens en métropole, mais aussi de
faire exister aux yeux des Français le peuple algérien. A l'institutionnalisation
de l'arbitraire et du racisme, il faut répondre par la revendication d'une
existence politique. Les dirigeants de la Fédération de France estiment
que la répression qui ne peut manquer de s'abattre sur les manifestants
mettra en lumière la violence du pouvoir et la légitimité de la lutte
du peuple algérien pour son indépendance.


Au matin
du mardi 17 octobre, la police sait qu'une manifestation de masse se prépare
; des cars de police quadrillent la ville, des policiers cernent les bouches
de métro aux portes de Paris, prêts à arrêter les manifestants. Aux portes
de Paris, à la sortie des métros Étoile, Opéra, dans les couloirs
de la station Concorde, sur les Grands Boulevards, les manifestants seront
systématiquement matraqués, à coups de crosse, de gourdin, de bâton, souvent
jusqu'à ce qu'ils s'effondrent.
Les policiers frappent au visage,
au ventre, des manifestants qui ne font montre à aucun moment d'aucune
violence ni d'aucune résistance. Sur le boulevard Bonne-Nouvelle, au
pont de Neuilly, au Pont-Neuf d'Argenteuil et en d'autres lieux, les policiers
tirent sur les manifestants. Sur les ponts aux portes de Paris et sur
le pont Saint-Michel, des hommes sont précipités à la Seine. En plein
Paris et pendant plusieurs heures se déroule une véritable chasse au faciès,
à laquelle la population parisienne assiste et collabore même parfois.
Le préfet de police M. Papon suit toutes les opérations et se rend lui-même
à l'Etoile, pour constater leur " bon déroulement ". Il a aussi connaissance
de toutes les liaisons radio de la police. Il sait donc que de faux messages
d'information circulent selon lesquels des policiers auraient été tués.
Il ne les démentira pas.


Plus de
dix mille Algériens sont interpellés. Ils sont internés au palais des
Sports, au Parc des Expositions, au stade de Coubertin, au Centre d'Identification
de Vincennes, pendant près de quatre jours.
Quatre jours pendant lesquels
les violences continuent. A leur arrivée, les manifestants sont systématiquement
battus. Dans l'enceinte des lieux d'internement, on assiste à des exécutions
et nombreux sont ceux qui meurent de blessures non soignées. Au lendemain
de la manifestation, le bilan officiel est de deux morts algériens. Il
fait état de " tirs échangés " entre la police et les manifestants. Malgré
les efforts de quelques parlementaires, le gouvernement empêche la création
d'une commission d'enquête. Aucune des plaintes déposées n'aboutira.


S'il n'est
pas possible de déterminer exactement combien d'Algériens furent tués
le 17 octobre 1961 et les jours qui suivirent, il reste que le chiffre
de plusieurs centaines de morts, avancé par J-L. Einaudi dans son livre
La Bataille de Paris à partir de l'étude de registres de cimetières,
de témoignages et de documents internes du F.L.N., est le plus vraisemblable.
De nombreuses archives administratives qui auraient été essentielles
au dénombrement des victimes ont aujourd'hui disparu. Ceci explique pourquoi
le rapport Mandelkern - commandité par le gouvernement et rendu public
en 1998 - et le livre de J-P. Brunet, qui tous deux se fondent sur les
archives existantes de la préfecture de Police, concluent à un nombre
de morts bien inférieur - autour d'une quarantaine. Le rapport Mandelkern
reprend du reste à son compte la version selon laquelle des tirs auraient
été échangés entre les manifestants et la police.


Charlotte
Nordmann


Dernière édition par le git le Sam 18 Oct - 13:21, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Il y a 47ans,l'Etat a massacré!!   Il y a 47ans,l'Etat a massacré!! Icon_minitimeVen 17 Oct - 13:41

[quote]1.
La censure étatique


L'oubli qui
a frappé la journée du 17 octobre 1961 est-il dû à la censure organisée
par le pouvoir ? C'est une explication que l'on a souvent invoquée ; et
au regard du nombre des saisies et des interdictions de publication, elle
semble justifiée. Le gouvernement chercha à imposer le silence sur
la terrible répression qui frappa ce jour là les Algériens. Au lendemain
de la manifestation, le bilan officiel est de trois morts. Pour maintenir
cette version, le gouvernement doit faire taire ceux qui la contesteraient.
Le 17 octobre même, on interdit aux journalistes d'être présents.
Les
quelques images de télévision qui existent sont dues à des télévisions
étrangères. Ceux qui tentent malgré tout de prendre des photos voient
leur matériel détruit. Les saisissantes photos prises par Elie Kagan durent
l'être clandestinement. Les lieux d'internement restèrent interdits
aux journalistes
pendant les quatre jours que dura la détention des
Algériens ; les seuls témoignages qui les décrivent sont dus aux manifestants
eux-mêmes, à des médecins, à des militaires ou à des appelés.


Le journal
Vérité-Liberté, qui dénonce les massacres et reproduit des témoignages,
en particulier un tract de policiers dénonçant la violence extrême de
la répression, est immédiatement saisi sur ordre du préfet de police M.
Papon. Fin 1961, le livre Ratonnades à Paris, de P. Péju, est saisi lui
aussi. Le film de J. Panijel, Octobre à Paris, qui reconstitue la manifestation
à partir des photos de E. Kagan et de témoignages d'Algériens, est saisi
par la police lors de sa première projection, en octobre 1962. Malgré
les efforts de certains parlementaires, le gouvernement empêche la création
d'une commission d'enquête sur les crimes du 17 octobre et des jours suivants.
Aucune des poursuites judiciaires engagées, aucune des plaintes
déposées n'a non plus abouti.
Aucun policier ne sera condamné pour
les crimes commis, aucun responsable politique n'aura à en répondre. Il
ne fait pas de doute que le gouvernement a tout mis en œuvre pour s'assurer
du recouvrement des crimes du 17 octobre 1961.


La censure
ne semble pourtant pas suffire à expliquer l'oubli du 17 octobre, si l'on
considère en particulier ce qui a été écrit dans la presse dans les jours
qui ont suivi les massacres : beaucoup de choses ont été sues et portées
à l'attention du public.
L'oubli du 17 octobre ne s'explique donc
pas simplement par un défaut de connaissance. En effet, si dans un premier
temps chacun des journaux adopte un discours correspondant à sa position
politique, moins d'une semaine après les faits, tous s'accordent pour
dénoncer les violences policières. Au lendemain de la manifestation, seuls
L'Humanité et Libération dénoncent la violence de la répression
; Le Monde et La Croix, se voulant neutres, relaient la
version officielle de " heurts " avec la police tandis que Le Figaro
et France-Soir affirment que ce sont les manifestants, " fanatisés
" ou " manipulés " par le F.L.N., qui se sont rendus coupables de violences
à l'encontre des policiers. Mais dans la semaine qui suit la manifestation,
à mesure que les témoignages affluent, un consensus se dégage dans la
presse : tous en viennent
à dénoncer les " violences à froid " dont ont été victimes des manifestants
pacifiques. La plupart des journaux publient des enquêtes sur le bidonville
de Nanterre. Tous font état des corps que l'on retrouve quotidiennement
dans la Seine. La presse n'a donc pas été silencieuse : elle a su l'essentiel
des faits et en a traité publiquement, malgré la censure. Presque immédiatement
après la manifestation, les violences terribles auxquelles elle a donné
lieu ont été, pour une part essentielle, rendues publiques. La raison
de l'oubli du 17 octobre 1961 doit donc être cherchée ailleurs que dans
la censure organisée par l'Etat.

2.
"L'oubli" de la Guerre d'Algérie


Un premier
élément de réponse s'impose : le 17 octobre 1961 a d'abord été oublié
au même titre tous les crimes de la Guerre d'Algérie. Ce ne sont pas seulement
les violences du 17 octobre 1961 qui ont longtemps été recouvertes d'une
chape de silence et d'oubli, c'est l'ensemble des crimes de la police
et de l'armée française pendant cette " opération de maintien de l'ordre
".
En effet, la guerre, qui dura près de dix ans, a déchiré les Français
et, lorsque la paix est enfin conclue, c'est sur un oubli collectif autant
qu'individuel que se reconstruit l'unité de la nation française. Le conflit
a profondément divisé le pays : quelle unité aurait pu se dégager entre
les colons prêts à commettre des attentats pour conserver une Algérie
française, ceux dont l'Algérie est simplement le pays, qui y ont toujours
vécu, entre les Français de la métropole qui désirent avant tout la paix
et acceptent par conséquent que l'indépendance soit accordée à l'Algérie
et ceux qui prennent parti pour l'indépendance et s'engagent à des degrés
divers au côté du F.L.N. ? A cette division on n'a su opposer que le silence
et l'oubli, individuel comme étatique. Combien d'appelés, contraints pendant
la guerre à commettre les pires violences, n'ont trouvé de " solution
" à ce déchirement intérieur que dans le silence ? L'indépendance proclamée,
le gouvernement édicte la loi d'amnistie : aucun des crimes commis au
titre de la poursuite de la guerre ne pourra faire l'objet de sanctions
pénales.

3.
Le recouvrement par "Charonne"


Mais l'oubli
du 17 octobre 1961, c'est aussi son recouvrement et sa confusion avec
la manifestation de Charonne. L'oubli des victimes algériennes suit un
cheminement plus complexe que celui retracé pour l'instant : une autre
mémoire vient recouvrir le souvenir du 17 octobre 1961, un autre crime
prend sa place. Rappelons les faits. Le 8 février 1962, quelques mois
après la manifestation des Algériens, le Parti Communiste Français organise
une manifestation pour exiger que soit mis fin à la Guerre d'Algérie.
Les policiers chargent et huit personnes trouvent la mort. A leurs obsèques
se rassemblent plusieurs dizaines de milliers de personnes. La mémoire
des martyrs de Charonne sera entretenue avec constance par le P.C.F. et
au-delà par l'ensemble de la gauche française. Charonne restera pour tous
le symbole de la violence de l'Etat pendant la Guerre d'Algérie et - bien
que le mot d'ordre du rassemblement ait alors été celui de paix en Algérie
plutôt que d'indépendance de l'Algérie - l'expression de l'engagement
anti-colonial du P.C.F. On aurait pu penser que cette répression sanglante
en rappellerait une autre, encore récente. Dans les faits, c'est le contraire
qui se produit : le 17 octobre 1961 est entièrement occulté par Charonne.
Dès le début de l'année 1962, avant donc que ne commence le travail
collectif d'oubli et d'amnistie des crimes de la guerre, il semble que
la manifestation des Algériens ait déjà disparu de la mémoire collective.
Ainsi Le Monde, qui avait dénoncé les violences du 17 octobre,
qui s'était inquiété des dizaines de cadavres retrouvés dans la Seine
après la manifestation, peut-il écrire en février 1962 que la répression
de Charonne a été la plus violente que Paris ait connu depuis 1934. On
frémit de penser que ce qui distingue les manifestants de 1961 et ceux
de 1962 ne peut être que la couleur de peau et les droits qui y sont attachés.
Que la mémoire de Charonne soit une autre face de l'oubli du 17 octobre
se manifeste aussi dans la confusion persistante entre les deux événements
: dans des livres d'histoires, au cours d'un journal télévisé, les photos
du 17 octobre ont servi à illustrer les violences de Charonne.


Cette confusion
du 17 octobre 1961 avec Charonne, qui a signifié dans les faits l'oubli
du 17 octobre, s'est probablement opérée de manière primordiale par le
biais du discours propre du P.C.F. Le fait que la mémoire du 17 octobre
1961 ait toujours été absente du discours du P.C.F., alors que Charonne
y tenait une place essentielle - et le fait, conjoint, que les Algériens
n'aient pas été associés à la manifestation du 8 février 1962 - marque
en fait une ambiguïté fondamentale du Parti Communiste Français. S'exprime
ici ce qu'on pourrait appeler les "hésitations " de l'anti-colonialisme
du P.C.F. Peut-être faut-il rapporter cette ambiguïté du P.C.F. à son
appartenance à une nation impérialiste, ou encore à un nationalisme dont
il faudrait chercher l'origine tout à la fois dans le patriotisme de la
Résistance et l'imitation de l'URSS. De ces hésitations témoigne la perméabilité
du P.C.F. au discours de défense de l'intérêt national, telle qu'elle
s'est manifestée notamment dans les années 1980 (notamment lorsque Robert
Hue organisait dans sa commune des manifestations que l'on peut dire "racistes").
C'est à cette ambiguïté qu'il faut rapporter le recouvrement de la manifestation
des Algériens du 17 octobre 1961 par celle de Charonne.

4.
Depuis les années 80


Au vu de ces
analyses, la question se pose de savoir comment le 17 octobre 1961 en
est progressivement venu à forcer l'espace public et à retrouver place
dans la mémoire collective. A défaut de proposer une véritable explication
de cette ré-émergence, nous retracerons ici les voies qu'elle a empruntées.
Si, en 1972, P. Vidal-Naquet avait déjà rappelé les massacres des 17
et 18 octobre 1961 dans son livre La Torture dans la République,
c'est à partir des années 1980 qu'ils acquièrent peu à peu une véritable
publicité. En 1980, Libération publie un dossier sur le 17 octobre
rédigé par G. Mattéi et J-L. Péninou
: " Il y a dix-neuf ans, un massacre
raciste à Paris ". Parallèlement, Les Nouvelles Littéraires publient
un texte intitulé " Cela s'est vraiment passé à Paris, il y a dix-neuf
ans ". L'année suivante, en 1981, Libération fait à nouveau paraître
trois pages sur les crimes du 17 octobre. Le Monde publie lui aussi
un article sur la manifestation et M. Trillat et G. Mattéi rappellent
les événements dans le journal télévisé du soir. C'est la première fois
qu'ils sont évoqués à la télévision.


L'apparition
dans la presse du 17 octobre 1961 coïncide avec le mouvement par lequel
la gauche socialiste est arrivée au pouvoir. Que l'on ait parlé pour la
première fois à la télévision du 17 octobre 1961 en octobre 1981 ne relève
pas du hasard. Cependant, le travail des journalistes et des intellectuels
ne trouve aucun relais politique. P. Vidal-Naquet relève ainsi, dans sa
préface à la réédition de Ratonnades à Paris, qu'au moment même
où le 17 octobre sort de l'oubli, le président F. Mitterrand réintègre
dans leurs grades des généraux de l'O.A.S.
Si le mouvement par lequel
le 17 octobre a forcé l'espace public n'est certes pas étranger à celui
grâce auquel la gauche socialiste a accédé au pouvoir, il est tout aussi
important de noter que le Parti Socialiste n'a lui-même jamais pris part
à ce combat contre l'oubli.


Tout au
long des années 1980 et 1990, des intellectuels et des journalistes travaillent
à ce que le 17 octobre acquière la publicité qui lui est refusée : en
1983 paraît le roman de D. Daeninckx, Meurtres pour mémoire ; en 1985,
le livre de M. Lévine, Les ratonnades d'octobre ; des documentaires télévisés
retracent les événements ; en 1991 paraît Le silence du fleuve, d'Anne
Tristan, dans lequel sont reproduites les photos d'Elie Kagan, et dont
la publication a été permise par le travail de l'association Au nom de
la mémoire. Un livre en particulier marque une étape dans la redécouverte
des événements : La Bataille de Paris, publié en

1991.
A partir d'archives
du F.L.N., de témoignages de manifestants et de policiers, à partir des
plaintes déposées à l'époque et de registres de cimetières, J-L. Einaudi
retrace, minute par minute, le déroulement de la manifestation et de sa
répression. La précision extrême de cet exposé des faits les présentifie
comme jamais ils ne l'avaient été.


La Bataille
de Paris a par ailleurs joui d'une publicité singulière du fait du procès
intenté par M. Papon à J-L. Einaudi.
Ce dernier témoigne en 1997 lors
du procès de M. Papon, accusé de crime contre l'humanité pour son rôle
à Bordeaux pendant l'Occupation ; il rappelle les crimes du 17 octobre
et souligne la responsabilité de M. Papon. L'ancien préfet de police et
ex-ministre de V. Giscard d'Estaing ne s'était pas manifesté lors de la
publication de La Bataille de Paris mais il porte plainte pour diffamation
en février 1999, à propos d'un article où J-L. Einaudi déclare que, le
17 octobre 1961, un massacre a été perpétré par les forces de polices
" sous les ordres du préfet Papon ". En mars 1999, au terme d'un procès
qui a permis que soient entendus nombre de témoignages démontrant la matérialité
des faits décrits par J-L. Einaudi, M. Papon est débouté de sa plainte,
le tribunal accordant à J-L. Einaudi " le bénéfice de la bonne foi ".
Surtout, la cour de justice reconnaît à cette occasion qu'eurent lieu,
le 17 octobre 1961, des " massacres ".
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MessageSujet: Re: Il y a 47ans,l'Etat a massacré!!   Il y a 47ans,l'Etat a massacré!! Icon_minitimeVen 17 Oct - 13:42

Citation :
5.
Les ambiguïtés de Lionel Jospin


Avec la publication
de La Bataille de Paris et la publicité que lui a apportée le procès
intenté par Papon, la question de l'ouverture des archives a été posée
publiquement et le gouvernement s'est vu contraint de prendre sur ce point
position. Lors de ses recherches pour La Bataille de Paris, J-L. Einaudi
s'est en effet vu refusé l'accès aux archives et en particulier aux archives
de la préfecture de Paris. En 1997, lors du retour de la gauche au pouvoir,
le gouvernement lance deux enquêtes sur les événements du 17 octobre 1961
; l'une est le fait du ministère de l'Intérieur, l'autre du ministère
de la Justice ; elles aboutiront à deux rapports, respectivement le rapport
Mandelkern et le rapport Géromini. En mai 1999, le Premier ministre Lionel
Jospin se déclare en outre favorable à ce que soit accordé un large accès
aux archives portant sur le 17 octobre 1961. La position du gouvernement
socialiste sur le 17 octobre 1961 est en fait essentiellement ambiguë.
Ainsi le rapport Mandelkern minimise-t-il le nombre de manifestants assassinés
,
affirmant que, même si l'on prend en considération les archives disparues,
ce chiffre ne saurait excéder les dizaines. Par ailleurs, même après
la déclaration du Premier ministre en 1999, J-L. Einaudi s'est vu une
nouvelle fois refuser l'accès aux archives de la préfecture de Paris.
Enfin le Premier ministre s'est récemment prononcé contre la reconnaissance
officielle des crimes du 17 octobre 1961, déclarant que l'Etat n'avait
pas à faire acte de " repentance " et qu'il appartenait à présent aux
historiens de faire le nécessaire travail de mise au jour de la vérité
sur ces événements. En la travestissant du mot de " repentance ", le gouvernement
refuse d'accéder à l'exigence légitime de reconnaissance et de condamnation
d'un crime commis par l'Etat français. Il faut encore ajouter qu'en appeler
ainsi aux historiens laisse supposer que les faits resteraient encore
à prouver.
Or, d'une part, le nombre de morts, s'il n'a pu jusqu'à
présent être défini avec certitude, ne pourra jamais l'être plus précisément
et, d'autre part, la terrible violence de la répression, elle, est avérée
et n'a aucun besoin d'être démontrée plus avant.


Que le gouvernement
s'en remette ainsi au travail des historiens est également significatif
à un autre titre. Il se trouve en effet que le seul ouvrage publié
à ce jour par un historien " patenté " sur le 17 octobre 1961 est celui
de J-P. Brunet.
On l'aura remarqué lorsque nous avons exposé le lent travail qui a permis
que le 17 octobre acquière progressivement une place dans la mémoire collective
: ce ne sont pas des historiens qui ont été à l'origine de la redécouverte
du 17 octobre 1961, mais des intellectuels et des journalistes.
J-L.
Einaudi n'est lui-même pas un historien de profession. Loin d'avoir initié
la lutte contre l'oubli, les historiens ont été les derniers à s'y engager
- au même moment que le gouvernement. C'est probablement ce qui explique
que J-P. Brunet semble avoir voulu, dans son livre Police contre F.L.N.,
publié en 1999, défendre la communauté historienne : il présente le discours
de l'historien comme le seul à même de faire apparaître la vérité
,
en s'autorisant du fait que, lui, contrairement à J-L. Einaudi, a eu accès
aux archives de la Police, de la Justice et de l'Assistance Publique,
et surtout en prétendant à une rigueur qu'il dénie à ce même J-L. Einaudi.
Mais le tort ne serait pas grand si les problèmes posés par le livre
de J-P. Brunet se limitaient à ce qu'il apparaisse comme une tentative
de réhabilitation de l'Historien et une défense de la corporation historienne.
Comme le remarque P. Vidal-Naquet, J-P. Brunet ne nie certes pas le drame
qu'a constitué le 17 octobre 1961, mais on ne peut que s'inquiéter de
ce que, d'une part, il n'ait interrogé aucun témoin algérien, et d'autre
part, de ce qu'il conclue à un nombre de morts - quelques dizaines - qui
vient confirmer des hypothèses auxquelles il était arrivé dès 1991, sur
la foi du seul témoignage de M. Papon. La conclusion semble ici précéder
la recherche
- piètre marque de rigueur scientifique. Les lecteurs
de ce livre ne peuvent en effet qu'être étonnés par
le parti prix de son auteur : disqualification de principe de tous les
témoignages d'Algériens (l'auteur n'en a lui même
recueilli aucun...) et crédit de principe apporté aux déclarations
de Maurice Papon. La méthodologie de "l'historien" Brunet laisse particulièrement
à désirer : rejetant en bloc les récits des témoins directs (Algériens),
ne prenant pas acte de la destruction d'archives, jouant du fait qu'il
est impossible de déterminer précisément le nombre des victimes, Brunet
construit sa démonstration de manière à ne tenir compte que des pauvres
archives que la préfecture de police a bien voulu conserver.


Le titre de
l'ouvrage de J-P. Brunet, Police contre F.L.N., Le drame du 17 octobre
1961, exprime du reste éloquemment la conception que l'auteur se fait
de l'événement. Contrairement à ce que laisse entendre ce titre, ce n'est
pas " le F.L.N. " qui a subi le déchaînement de la répression, c'est toute
la population algérienne de la région parisienne, contrainte à manifester
par la Fédération de France - et cela, même la police le savait, qui fait
état de " menace de mort " à l'encontre de ceux qui refuseraient de braver
le couvre-feu. Ce n'est pas " la police " qui est l'auteur des massacres
du 17 octobre 1961 ; l'affirmer, c'est occulter que la répression sauvage
de la manifestation n'a pas été - comme le suggère J-P. Brunet - le fait
d'un excès malheureux de policiers rendus furieux par les attentats dont
ils avaient été victimes, mais qu'elle a été voulue par le gouvernement
qui a délibérément laissé les mains libres à Papon et s'est ensuite assuré
que tous, selon les propres termes du préfet, seraient " couverts ".


En appeler
aux historiens, comme le fait le gouvernement lorsqu'il refuse d'accéder
à l'exigence légitime de reconnaissance et de condamnation des crimes
du 17 octobre 1961, n'a donc rien d'innocent, lorsque le seul ouvrage
qui ait été publié par un historien "patenté" en vient en quelque sorte
à nier les faits en en proposant une interprétation inacceptable et quasi
mensongère.


L'oubli du
17 octobre 1961 a été pour une part dissipé, grâce à un travail de plusieurs
dizaines d'années, mais la " mémoire officielle " qui se construit actuellement
est pleine d'ambiguïtés. A ce jour les crimes du 17 octobre 1961 n'ont
fait l'objet d'aucune reconnaissance officielle ; aucun monument, aucun
lieu de mémoire ne leur est consacré. C'est qu'il y a, de 1961 à maintenant,
une certaine continuité des pratiques de l'Etat.
Les réseaux étatiques
qui ont permis qu'aucun des crimes commis ne reçoive de sanction sont
toujours actifs. La réticence de l'Etat et de la société civile à reconnaître
les crimes du 17 octobre 1961 témoigne plus profondément de ce que l'histoire
de la colonisation reste à faire. Cette histoire n'est pas du ressort
des seuls historiens : il appartient à la société toute entière de la
mener, car la société toute entière est aujourd'hui encore structurée
par cette histoire coloniale.

Pour ne pas oublier...[/quote][/quote]
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MessageSujet: Re: Il y a 47ans,l'Etat a massacré!!   Il y a 47ans,l'Etat a massacré!! Icon_minitimeVen 17 Oct - 13:42

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MessageSujet: Re: Il y a 47ans,l'Etat a massacré!!   Il y a 47ans,l'Etat a massacré!! Icon_minitime

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