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Qu’est-ce qu’une occupation ?
Occuper son usine, son école, son université, son atelier, son administration, est certes un
moyen en vue d’obtenir la satisfaction de revendications. Et, comme moyen, l’occupation a une
efficacité propre, redoutable – qu’atteste l’histoire ; et que tout pouvoir, en son lieu, redoute.
Mais occuper, c’est toujours aussi :
REPRENDRE L’ESPACE
REPRENDRE LA PAROLE
REPRENDRE LE TEMPS
REPRENDRE L’ESPACE
Tout espace quotidien – lieu de travail, lieu d’étude – se trouve transfiguré par l’occupation.
L’espace habituel du travail, cloisonné, quadrillé, surveillé, sécurisé, arraisonné, retrouve enfin sa
pure apparition.
De même qu’une marchandise se débarrasserait de sa valeur d’échange pour redevenir ce
qu’elle est : un chose de ce monde ; de même l’espace redevient l’espace vrai, l’espace intense.
Dépouillé du voile mesquin des petites fonctions, des règles minuscules, des partages
utilitaires, l’espace est rendu à l’épiphanie.
L’espace occupé est un espace libéré de son asservissement à sa fonction ; car le pouvoir sait
que, pour être plus efficace, moins apparent, moins violent, plus constant, c’est l’espace lui-même
qu’il lui faut tenir – avant même les personnes qui auront à y circuler. Le pouvoir se lit toujours déjà
sur l’espace : dans la courbe architecturale d’un bâtiment, dans le plan d’urbanisme, etc.
L’occupation restaure donc l’espace en le débarrassant de tous les arraisonnements.
L’espace occupé est donc espace originaire : l’espace intense de la vie non-encore asservie.
Alors, dans l’occupation, le ballon roule parmi les crayons de couleurs ; les copies du bac
blanc s’étalent à côté des tracts pour le lycée Darras de Liévin ; les chaussures du professeur
d’histoire endormi reposent près d’une guitare ; un sac de couchage est roulé en boule sur un
matériel pédagogique (nom moderne et administratif d’une chaise).
Il n’y a vraiment plus de limites...
De longue date l’on sait qu’on peut transfigurer un espace par une parole, d’amour par
exemple, ou de colère, par une promesse aussi, par un serment, qu’on y prononce. L’occupation est
transfiguration de l’espace, et par conséquent est bien plus que la simple réappropriation d’un lieu
(lieu de travail, atelier, amphithéâtre, lieu quotidien, où enfin l’on peut vaquer libre, non mobilisé,
libéré du regard de la surveillance : toute occupation véritable commence par livrer en potlatch les
caméras de surveillance et les systèmes de “sécurité”.). Mais l’occupation est encore au-delà de
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cette installation en ce lieu ; elle est la rénovation du regard posé quotidiennement sur un espace
tellement connu.
nota bene : le problème des conditions de sécurité auxquelles sans cesse se heurtent les
actes les plus anodins des occupants (accéder à une douche, à un ordinateur, à une salle, etc.) n’est
pas un problème contingent : la sécurisation de tous les lieux de notre vie poursuit certes le louable
but de préserver nos vies – mais elle ne le fait qu’en les amoindrissant, qu’en en atténuant teneur et
intensité ; qu’en détruisant l’espace intense. Ceux qui abolissent les fenêtres pour des raisons de
sécurité sont des défenseurs de la vie médiocre (... et donc nos ennemis).
REPRENDRE LA PAROLE
Dans la démocratie médiatique, tout le monde parle ; dans la démocratie médiatique du
respect tous azimuts, où toute opinion est audible, où le débat est roi, la parole, pourtant, est au
quotidien assassinée. On parle, on parle, on se laisse parler, on compte et décompte les temps de
parole... On parle mais on ne dit rien ; on laisse parler mais on n’écoute pas.
L’occupation, en restaurant l’espace intense et le temps pur, offre à la parole la possibilité
d’un renouveau. Celui qui d’habitude n’a pas part à la parole prend la parole.
Est du démos celui qui parle alors qu’il n’a pas à parler, celui qui prend part à ce à quoi il
n’a pas part.
La parole, d’habitude confisquée, surveillée, contrôlée, gérée, hiérarchisée, estampillée,
enfin s’ouvre.
La Télévision certes donne la parole à l’ouvrier, à l’étudiant, au professeur, etc. ; mais
toujours pour lui faire tenir le rôle de l’ouvrier, de l’étudiant, du professeur.
L’occupation est un scandale car l’ouvrier, l’étudiant, le professeur, cesse de fonctionner
comme un ouvrier, un étudiant, un professeur... Toute occupation, toute grève, est une crise du
fonctionnalisme...
Car l’occupation conteste la séparation : il n’y a pas d’un côté le citoyen, de l’autre le
travailleur. Il n’y a pas d’un côté le politique et de l’autre le social ; d’un côté l’Etat, de l’autre la
société civile. L’occupation abolit la séparation ; elle dit : « La politique, c’est l’organisation du
travail ; la politique c’est la réalité du quotidien ». A l’occupation le pouvoir répond : « Retournez
au travail.... Ne vous mêlez pas de politique, nous sommes là pour cela... Bien entendu, si vous
n’êtes pas satisfaits, allez voter la prochaine fois ; nous entendrons vos inquiétudes (de citoyens). »
L’occupation dit : « Nous ne sommes pas inquiets. »
Elle dit aussi : « Nous voilà ! ».
La parole n’est donc plus la parole séparée : c’est la parole pleine de l’homme entier, qui est
citoyen en même temps qu’il est homme ; parole que remplissent le désir et la colère, la colère et le
désir.
Le pouvoir a peur de la colère et du désir ; il dit : « Vous avez peur ».
Il dit aussi : « Il y a eu un malentendu ».
REPRENDRE LE TEMPS
Au temps minuté de la journée ouvrable, aux secondes comptées du travail bien géré,
s’oppose le temps pur, que l’occupation (la grève) restaure. Voir se coucher le soleil d’été derrière
le bâtiment gris de son lieu de travail ; y voir monter l’aube. Y entendre passer les trains du soir et
l’oiseau du matin.
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L’occupation est ce par quoi l’on sort de la temporalité du quotidien, qui est temporalité du
spectacle. Seul le blocage d’une grève ou d’une occupation sait faire sortir de ses gonds le temps
quotidien et donner à un homme une idée du temps pur, durée non asservie en temps. Il ne s’agit
plus seulement d’assister à..., de participer à..., de se mobiliser pour... ; mais d’arrêter le temps.
« Soleil, arrête-toi sur Gabaon,
Lune, sur la vallée d’Ayyalôn ! »
Et le geste de Josué suit ; que le temps, un instant, s’arrête.
« Et le soleil s’arrêta et la lune s’immobilisa jusqu’à ce que la nation se fût vengée de ses
ennemis. Cela n’est-il pas écrit dans le livre du Juste ? Le soleil s’immobilisa au milieu des cieux et
il ne se hâta pas de se coucher pendant près d’un jour entier. » (Livre de Josué, X)
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La joie est le critère infaillible de l’action véritable. La joie, Bernanos, dans Sous le soleil de
Satan, la définit « pareille à une autre vie dans la vie, à la dilatation d’une nouvelle vie ». Elle est le
signe que le temps normal se suspend et que l’espace s’intensifie. Cette joie, elle saisit chacun des
lips courant dans les couloirs, une fois prise la décision. Elle habite toute occupation véritable.
conclusion :
L’occupation est un scandale
L’occupation est, en effet, un scandale ; elle l’est au même titre que la démocratie
(véritable) est un scandale, à savoir comme réappropriation de la politique par l’ignorant ; par le
non spécialiste ; par le démos. La démocratie est le mode de gouvernement de celui qui n’a aucun
titre à gouverner ; l’occupation est le mode d’action de celui qui n’a aucun titre à l’action.
Dans le lycée XXXX, à XXX (59), occupé, le 13 mai 2008
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