Ne Pas Avaler ...
... n’importe quoi, et notamment toutes ces machines !
« Ces gens sont si fiers, si confiants,
si joyeux. Parce qu’ils sont maîtres de la rue, ils s’imaginent qu’ils
sont maîtres du monde. En réalité, ils se trompent bel et bien. Il y a
déjà derrière eux les secrétaires, les permanents, les politiciens, et
tous ces sultans des temps modernes auxquels ils fraient la voie qui
mène au pouvoir... » (Kafka)
On se retrouve donc en grève. Pour nous battre contre
quoi ? Pour quoi faire ? Obtenir une amélioration de nos conditions
d’asservissement, en échange de notre conformation aux exigences d’une
société absurde ? Pour quelques minutes hebdomadaires, quelques euros
de plus, afin de regarder sur des machines à écran plat les chars
écraser les enfants à Gaza, et les rugbymen australiens aplatir notre
paquet d’avants ?
Car la machine électorale, elle aussi, a redémarré.
Elle nous dit, à l’encre noire, et même en rouge, qu’il faut que « les
patrons paient la crise », qu’il faut « sauver les emplois »,
« relancer la machine » économique, et refuser « la casse de l’école
publique ».
Dire que les patrons doivent payer la crise, c’est
aussi accepter d’avoir des patrons, accepter la violence des
entreprises, les rythmes éreintants, les productions inutiles, les
chefs harceleurs. C’est accepter l’ordre marchand. Devant cela, Sarko,
les banquiers, les patrons et leurs machines doivent se payer... une
bonne tranche de rire.
Défendre l’emploi : mais quels emplois ? Ceux où l’on
fait n’importe quoi, sans pouvoir se poser de questions, ce n’importe
quoi qui empoisonne les sols, l’eau et l’air (industrie chimique,
automobile, aéronautique, agriculture raisonnée), menace tout ce qui
vit (armement, nucléaire, nanotechnologies), nous enferme et nous
prépare des lendemains d’automates pucés et programmés, au nom bien sûr
du Progrès, de la Santé et de la Sécurité, voire de l’Union sacrée pour
le sauvetage de la planète ( biotechnologies, informatique,
vidéosurveillance, RFID) ?
Défendre l’école publique, c’est défendre l’une des
institutions les plus efficaces de l’Etat capitaliste :
créée pour préparer les masses à la dictature industrielle, pousser à
la revanche contre le boche et glorifier l’exploitation coloniale,
l’école de la république a d’abord détruit les langues et cultures
régionales, porteuses, selon elle, de l’ignorance crasse, de
l’archaïsme le plus infâme et... d’une insupportable tendance à
l’autonomie locale. Elle a répandu, comme la vérole sur le bas clergé,
ses mythes et mensonges sur l’histoire de nos pays. Elle a fait régner
l’esprit de soumission devant le maître, le contremaître, l’ingénieur,
le savant, le patron, le banquier, le maire, le président. Elle
instaure la compétition entre les enfants, les note, évalue, contrôle,
fiche (avec ou sans « base-élève, l’école de l’Etat est la plus active
des polices). Elle reproduit une « élite », grande ou petite, de l’ENA
et Polytechnique à la simple école « d’ingénieurs » ou « supérieure de
commerce ». Et cette « élite » mène parfaitement la barque, pour le
compte des industriels et des actionnaires : droit dans le mur, ou dans
l’iceberg, si on veut bien se souvenir que grâce à eux la planète va
nous faire bouillir. En même temps, elle consacre l’échec, la casse des
cancres, occitans, bretons ou maghrébins, des enfants rebelles pour qui
la dignité et le rêve valent plus que la peur du maître, de tous les
insoumis de la science et de l’orthographe. Certes, des enseignants et
autres employés du système s’efforcent de remettre en cause, du moins
en partie, cette inféodation de l’institution scolaire au capital et à
la machine. Mais avec quels résultats ?
Quelque part (au Chiapas
et ailleurs), les derniers Mohicans luttent sur leur bout de terre, si
belle qu’ils ne veulent pas la lâcher. Ils et elles (re)construisent
des modes de vie qui leur sont chers, un habitat, des champs, leurs
écoles et systèmes de santé, leur pratique de la justice, de la
démocratie, du travail communautaire, des échanges équitables sans
label, le partage gratuit des connaissances et le refus de la division
du travail, la coordination et l’autogouvernement...
Ici aussi (et ailleurs) de nouveaux Mohicans (peut-être
Basques, Catalans, Parisiens ou Berbères, sur ces terres occitanes) se
rencontrent, réfléchissent, préparent de nouvelles résistances, en
dehors de l’Etat et du dialogue social, de la légalité et la « défense
des services publics ».
Ils refusent la propriété privée et l’aliénation galopante au service
de la machine, ils font des jardins collectifs et envisagent
l’autonomie pour la production des aliments, des habits, des maisons et
des moyens de déplacement. Ils parlent de cesser de déléguer tout ce
qui nous importe : la solidarité sociale, l’éducation des enfants et la
transmission des savoirs, l’entretien de notre santé, le renouvellement
jour après jour de l’immense et impérieux plaisir de vivre.
Déserter le système capitaliste, le boycotter, le
saboter, inventer autre chose, n’est ni facile, ni impensable. On peut
en tout cas essayer. Pour cela, il va falloir se parler, construire par
nous-mêmes, mettre nos coeurs à l’ouvrage. Ce sera plus dur, mais bien
plus exaltant, que de refaire 30 ans après, avec le NPA, le coup du
programme commun de la gauche !